Scoop : Le Parquet donne raison à Jean-Marc Rouillan !

Admirez, mesdames et messieurs, la Justice française. Admirez-là à distance respectable, néanmoins. Les petits procureurs revanchards et punitifs pourraient vous incarcérer vite fait.

Dans l'affaire ultra-actuelle qui concerne Jean-Marc Rouillan, la débilité délirante de l'institution s'est fait jour avec la rapidité et l'ostentation d'une déflagration "terroriste".

Tout le monde le sait, JMR n'a pas le droit de parler des affaires qui l'ont conduit à passer plus de vingt piges en taule. En conséquence, lorsque le journaliste lui pose une question sur ce point, il répond, à la lettre : "Je n'ai pas le droit de m'exprimer là-dessus... Mais le fait que je ne m'exprime pas est une réponse. Car il est évident que si je crachais sur tout ce qu'on avait fait, je pourrais m'exprimer. Mais par cette obligation de silence, on empêche aussi notre expérience de tirer son vrai bilan critique."

Traduction à l'usage des journalistes, des vengeurs masqués et du Juge d'application des peines qui a renfermé Rouillan au mitard :

- Je n'ai pas le droit de m'exprimer là-dessus = je n'en parle pas.
- Mais le fait que je ne m'exprime pas est une réponse = il ne s'exprime pas, et cette non-expression, ce silence, contient du sens. Mais c'est une non-expression.
- Si je crachais sur AD, je pourrais m'exprimer = "si" introduit ici un conditionnel. Cela veut que JMR explore une possibilité hypothétique sans la faire coïncider à "sa" vérité.
- On empêche de tirer un vrai bilan critique d'AD = je n'ai définitivement pas le droit d'en parler.

Au total, donc, Rouillan ne parle pas, il ne parle JAMAIS des affaires sur lesquelles il a l'obligation de garder le silence, à savoir les assassinats de Besse et du général, ou des attentats divers d'AD.

Aussi, la suspension provisoire de sa liberté conditionnelle ne peut en aucun cas se justifier par la transgression de cette obligation de silence. Nous sommes donc en présence d'une justice qui outrepasse très clairement le droit et qui fait preuve d'une sévérité aussi névrotique que stupide.

On comprend que ce qui gêne les justiciers fascistes et les droitards de tous bords, ce n'est pas que JMR ait évoqué les affaires d'AD puisqu'il ne l'a pas fait. Ce qui choque le peuple hargneux des honnêtes gens, c'est qu'il semble ne pas regretter ses actes. Voilà ce qui les fait s'étrangler de haine. A ce titre, ils détournent l'obligation de silence en prétextant qu'elle est transgressée (ce qui est objectivement faux) pour remettre le non-repenti derrière les barreaux.

Et voici qu'intervient, donc, notre "Parquet", dans sa très profonde intelligence. Rue89 l'annonce : "Le parquet, lui, devra faire valoir qu'il a non seulement enfreint l'obligation de silence qui lui incombait, mais aussi que par cette interview, Jean-Marc Rouillan assume le passif d'Action directe. Voire qu'il y fait l'apologie du terrorisme".

Arrêtez-nous si on se trompe. Mais le "Parquet" a l'air de mentir. Rouillan n'a pas enfreint son obligation de silence. Il n'a pas assumé le passif d'AD. Il n'a pas fait l'apologie du terrorisme. Et sur ces trois points, en violation manifeste de la réalité, le parquet fait croire le contraire.

Le Parquet et les braves gens honnêtes voient dans Rouillan la créature maléfique qu'ils veulent y voir. En déformant les non-propos de Rouillan, en les étirant comme les détenus étirent leurs draps pour se pendre en cellule, ils réalisent leur fantasme d'un JMR diabolique. Pour ces gens là, pour la droite en général, criminel un jour égale criminel toujours, on le sait bien. C'est dans les gènes de Rouillan d'être un "terroriste".

Qu'ils sont naïfs, les petits procureurs qui ont le pouvoir : ils voudraient que le détenu qui a purgé 20 piges sans broncher "regrette ses actes". La justice nous fera toujours rigoler. Dans l'esprit tordu des droitards, l'enfermement est censé provoquer l'amende honorable. Il faudra expliquer que, face à une justice pénale aussi cruelle qu'arbitraire, peu nombreux sont ceux qui regrettent leur acte. Ils regrettent plutôt de s'être fait choper.

La justice ne se contente pas d'enfermer (ce qui est une torture), elle exige aussi qu'on tire parti de cette torture, qu'on en jouisse et qu'on finisse par s'en réjouir. Elle veut punir, mais aussi que le puni accepte sa punition.

Comme le note magnifiquement Catherine Baker, "On attend du prisonnier une entière collaboration. Il donne ainsi pleinement raison à l’institution [...] ! Le condamné doit faire sien le jugement qu’a prononcé contre lui la société, s’y rallier de toute sa bonne volonté. Cette joyeuse obéissance peut être une comédie, là n’est pas la question, ce qu’on veut obtenir du détenu, c’est qu’il montre qu’il est capable comme tout un chacun de spéculer sur l’évolution de son prix. Ceux qui refusent de coopérer feront plus d’années de prison" (Pourquoi faudrait-il punir ?).

Le Parquet, en renfermant Rouillan, lui donne raison sur toute la ligne : oui, tu n'as pas le droit de t'exprimer ; oui on t'y autoriserait si tu crachais sur AD. Et maintenant, ta "dangerosité" de "terroriste" va être examinée sérieusement, sans rire, sans gêne, par des hommes emperruqués qui savent pertinemment que tu ne tiendras jamais plus un flingue dans ta main de ta (courte) vie. Mais il faut des prétextes, tu comprends.

Sans crainte d'être trop long et de lasser nos lecteurs, abordons maintenant, toujours dans la droite ligne de cette affaire, le cas d'un droitard qui s'indigne des toutes dernières déclarations de Jean-Marc Rouillan.

"Je ne m'exprimerai pas outre mesure sur le scandale que constitue la parfaite bonne conscience d'un assassin, qui ne regrette en rien ses forfaits. Tout au plus me dis-je que l'expression d'un regret sincère devrait être une condition sine qua non pour pouvoir sortir de prison", nous annonce, d'une voix ferme mais sincère, cet homme de conviction.

Tu pense bien que s'il suffisait de mimer le regret pour sortir de taule, la recette aurait permis à quelques criminels de gambader dans de champêtres horizons plutôt que de crever à petit feu. Et que JMR ne se serait pas fait prier pour s'y conformer. Qu'il était tout à fait à même de jouer cette comédie-là. Que s'il ne l'a pas fait, c'est une preuve de courage et de grandeur plutôt qu'un "scandale".

"Si la Justice doit savoir pardonner, elle ne saurait pardonner qu'à des détenus qui ont prouvé que leur emprisonnement avait permis leur rédemption."

La prison et sa philosophie ne tablent pas sur la rédemption, mais sur la punition. L'unique but est un but de vengeance. Seuls les plus sots des sots croient encore que la prison a un rôle positif et constructif.

"Mais Rouillan n'a pas payé sa dette, ne peut la payer. Il demeure un éternel tueur."

Voilà la vision de toutes les droites : la criminalité est génétique. Il n'y a pas de "crimes", il y a des criminels. Sous la figure de JMR se fait jour celle du monstre. Rouillan est ontologiquement mauvais. Aucune peine de prison ne saurait lui faire expier ses crimes, nous dit l'ami Romain. L'ami Romain voulait qu'il expie des crimes qu'il ne pourra de toutes les façons jamais expier, si on suit bien son raisonnement pharaonique.

Le reste du texte est à l'avenant. La pensée de droite atteint des niveaux zénithaux, tout particulièrement avec cette phrase délicieuse que je vous invite à lire précautionneusement : "Si le dossier réalisé par L'Express peut contribuer à renvoyer l'assassin derrière les barreaux, ce n'est que justice." Traduction : si un papelard remet en taule un homme que la justice avait autorisé à sortir, ce n'est que justice. Qu'un article de presse décide de l'enfermement d'un homme dans les geôles de la République est l'incarnation, en effet, d'une bien belle justice.

Pas la notre, mais alors pas du tout. La notre, de justice (finissons-en là), existera quand seront vidées les prisons.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

criminel un jour égale criminel toujours

Seulement si tu es pauvre ou de gauche (cf OAS)

Anonyme a dit…

La droite, mais pas seulement, a toujours utilisé la génétique pour naturaliser sa domination et son exploitation, et pour effacer tout ce qu'aujourd'hui l'homme fait à l'homme.
Au delà, le sort réservé à Jean Marc Rouillan est à rapprocher de celui des militants italiens des Années de Plomb. Erri De Luca parlait pour stigmatiser l'attitude des autorités, de vengeance infinie. Oui, mais pas seulement. Il leur faut créer l'amalgame entre tous les "terrorismes", celui aveugle des islamistes (dont se rapproche celui des fascistes de l'attentat de la gare de Bologne) et celui des militants d'extrême-gauche. Il faut interdire ne serait-ce que l'IDEE d'un affrontement violent entre possédants et dépossédés de tout.
Or que fait Rouillan ? Il ose évoquer la possibilité d'un affrontement auquel beaucoup de choses pourraient objecivement conduire. Et bien cette hypothèse tue depuis trente ans (et que personnellement je ne partage pas), il nous est redit, que même sur le seul plan théorique, nous n'avons pas le "droit" d'en parler, a fortiori d'en débattre. C'est l'un de ces interdits de penser qui affectent de nombreuses sphères, bien au-delà d'une droite revancharde qui se shoote à la très épaisse bêtise franchouillarde.

Unknown a dit…

Moi c'est Roman, pas Romain. ;-)

Puisque vous me reprochez d'être incohérent (en demandant des regrets à un homme qui ne peut en avoir puisque son combat était juste), je voudrais vérifier votre cohérence : pour vous, le témoignage de Rouillan sur la vie carcérale prouve qu'il faut libérer tous les prisonniers. Tous les prisonniers, vraiment ? Auriez-vous dit la même chose d'anciens OAS ?

Unknown a dit…

J'oubliais : où avez-vous lu que j'avais une conception génétique du criminel ? Il y a des repentis sincères, et, à condition qu'ils purgent leur peine en entier, je suis favorable à ce qu'ils puissent pleinement réintégrer la société, ce qui, vous en conviendrez, n'est pas le cas : interdiction de travailler dans la fonction publique, dans la sécurité, le convoyage de fonds, etc.

Anonyme a dit…

Le journaliste sait que Rouillan n'a pas le droit de s'exprimer. Le sachant, il lui pose quand même la question. Ensuite orchestration médiatique pour le lynchage. Bravo la journaille! C'est elle qui devrait être en taule.

Tout ça est répugnant. Qu'est-ce qui a pris à JMR de se laisser manipuler comme ça ? Qu'avait-il besoin d'accepter des interviews de cette presse à vomir ?

Merci pour le passage de Catherine Baker.

Vivretpensercommedesporcs

Unknown a dit…

Rouillan pouvait tout à fait décliner l'interview... il est majeur, non ?