La position du penseur couché

Nous venons de terminer La position du penseur couché, de Sébastien Fontenelle, dans sa version poche (pauvres bohémiens que nous sommes, il nous a fallu attendre que les éditions Libertalia se décident enfin à publier le texte à prix réduit - 7 € - pour pouvoir le lire).

Il s'agit d'une déconstruction systématique solide de la rhétorique Finkielkraut. Alain Finkielkraut, c'est le type qui se distingue par des sorties racistes régulièrement, et qui s'est inventé une carapace théorique et idéologique : toute attaque contre lui, toute "cabale" contre ses propos relèvent, en dernière analyse, d'une "judéophobie", d'ailleurs très ancienne, mais "qui remonte", qui "vient", ou qui "revient" de "très loin".

On le sait, lorsque Finkielkraut estime que l'équipe de France de football est "black-black-black", il nous est interdit de lui rétorquer qu'il s'agit d'un propos raciste. Sinon ? Sinon il sort la carte de la "judéophobie". C'est l'attaquer "comme raciste en tant que juif, ou pire, comme juif en tant que raciste" (c'est peut-être l'inverse, nous citons de tête).

Sébastien Fontenelle démontre très bien et assez tranquillement l'hallucinante rhétorique de l'odieux personnage. Finkielkraut, anti-antiraciste viscéral, abandonne néanmoins ce beau combat pour pourfendre le "racisme anti-blanc", ce joujou conceptuel de l'extrême droite, ce faisant ainsi vulgairement antiraciste à son tour (dans un autre sens, certes...).

Au total, c'est le profil d'un homme singulièrement proche du FN, de ses idées, de ses stéréotypes discursifs qui nous est décrit. Finkielkraut, en ce sens, est effectivement un symptôme du sarkozysme : un produit estampillé "droite moderne" entretenant pourtant de fortes homologies structurales avec un autre produit, connu sous le nom de "vieille extrême droite".

Le petit livre de Sébastien Fontenelle s'attaque également à d'autres odieux personnages, membres de la "mouvance" Finkielkraut : Renaud Camus, Pascal Brückner, Oriana Fallaci, Elizabeth Lévy (la parité paraît respectée dans les milieux proto-racistes)... Mais il en est un, le plus insupportable de tous, qui n'obtient pas, dans La position du penseur couché, le traîtement qu'il mérite.

Cet homme, c'est Pierre-André Taguieff. Certes, Fontenelle cite tout autant ses immondes propos. Mais, à tout prendre, mettre Finkielkraut sur le même plan que Taguieff nous semble, tout bien pe(n)sé, quasi-diffamatoire à l'endroit du premier. Après tout, Finkielkraut, n'est qu'un scribouillard réac atteint d'un délire de persécution. Pierre-André Taguieff, c'est différent, est un homme qui "théorise" que la gauche est un néo-nazisme. Que le racisme est émancipateur. Que quiconque dénonce les dérives droitières du régime (par la "reduction ad hitlerum", se gausse Taguieff), est un "stalinien" (prochain bouquin de ce Louis-Ferdinand Céline du pauvre : "La stalinisation des esprits"). Voilà donc un type qui se marre devant la reductio ad hitlerum tout en pratiquant, de son côté, la reductio ad stalinum, qui est exactement le procédé dont il se fout. C'est dire si le pseudo-politologue vit dans le dénuement intellectuel.

Comme dit Fontenelle sur son blog, il y a fort à parier que "La stalinisation des esprits" sera un essai visant à démontrer que la France, pays qui a massivement plebiscité Sarkozy, est en fait une Corée du Nord au coeur de l'Europe. Bref, Sabotage reviendra sur Pierre-André Taguieff dans les grandes largeurs. Pour l'équarrir bien comme il faut. Il le vaut bien.

Rachida Dati et la sarkoprison

La sarkologie, cette rhétorique à la fois victimaire et punitive, qui se fonde sur les « sarkomachies » (réfutations scénarisées d’énoncés que personne n’énonce, du genre « Alors quoi, punir les fraudeurs c’est mal ? » ; « Je ne vois pas pourquoi aimer la France serait interdit », etc.), s’est attachée récemment à un nouvel objet : la prison. C’est la nunuche en chef Rachida Dati qui s’y colle.

Après ses trips sadiques dans le style « peines plancher » (lire absolument notre article), Rachida devait s’attaquer au « volet positif » de son boulot, une loi pénitentiaire visant à améliorer les prisons françaises. Et la peu compétente ministresse de réunir un « Comité d’Orientation Restreint » (COR), composé des habituels joyeux drilles (avocats, magistrats, associatifs), chargé de faire ses propositions.

Évidemment, Rachida ne saurait faire appel à la parole d’anciens détenus (de peur qu’ils trucident la pauvre unanimité républicaine de façade de ce type de comités théodules, destinés à entériner les recommandations du pouvoir). Et les épicuriens du COR ont donc pu pondre leurs cinquante recommandations « en toute indépendance » (même si l’Administration Pénitentiaire, qui est un peu le Reichskonzentrazionsläger-Ministerium de notre « démocratie », avait pris soin de fournir, en amont ses « hypothèses » - Ô la pudique litote ! – et même si la loi s’écrivait en même temps que le COR planchait, ce qui constitue un bras d’honneur à l’endroit de ses membres).

Des recommandations qui, pour nous, saboteurs, allaient toutes « dans le bon sens », celui d’une mise en conformité des taules françaises, aujourd’hui assez similaires à ce qui se faisait aux heures les plus sombres de l’Histoire, avec les directives européennes (et pour une fois que l’intégration européenne a des effets pas trop dévastateurs, on ne va pas se priver d’en profiter).

Encellulement individuel, douches quotidiennes, durée maximale de mise au mitard réduite de 45 jours à 28, examens médicaux plus fréquents pour les vieux, droits de visites facilités, meilleur accès au RMI, droit à l’expression collective, restriction des fouilles corporelles humiliantes, etc. C’est pas encore l’abolition de cette absurdité sociale qu’est la prison, mais c’est toujours ça de pris sur la grande faucheuse. Et puis les conditions de vie carcérale sont tellement ignobles que la moindre réforme est bonne à prendre, même si elle contribue à renforcer (en l’améliorant) le système carcéral.

Seulement voilà. L’Observatoire International des Prisons, lui, trouve que les recommandations du COR sont assez pourries. Et, à lire son rapport, on comprend qu’il n’a pas tort et qu’on a vite fait de se faire rouler par la sarkologie.

Les préconisations du COR, nous dit l’OIP, sont soit « dénuées de sérieux », soit « contestables », soit elles « vont dans le bon sens mais, faute de précisions, sont réduites à des vœux pieux ». Le COR préconise par exemple des états des lieux de rentrée et de sortie de cellule : « On attend avec impatience l'état des lieux entrants de détenus en maison d'arrêt : « entrée dans une cellule vétuste, nombreuses fuites, toilettes ignobles, deux autres locataires pour neuf mètres carrés. Je m'engage à rendre ce bien dans l'état dans lequel je l'ai trouvé ». Une telle recommandation est du reste tout à fait déplacée au regard de la gravité des manquements de l'administration au regard des normes minimales d'hygiène et de salubrité. »

Bref, Rachida Dati n’est pas décidée à en finir avec la « torture blanche » qu’est l’incarcération en France. Extraits, surréalistes, des « hypothèses » (comprendre : recommandations fortement incitatives) de l’Administration Pénitentiaire : « Les règles pénitentiaires européennes sont pour l'essentiel déjà transcrites dans notre réglementation ». C’est faux, le commissaire européen chargé de ces questions a classé les prisons françaises derrière celles de la Moldavie en termes de condition de vie et de salubrité. D’autre part, l’encellulement individuel relève d’une directive européenne, et est très loin d’être respecté.

Deuxième pépite de l’AP : « Les prisons françaises ne sont pas une honte ». Paradoxe performatif, le simple fait d’énoncer une phrase revient à la contredire. Suggérer aussi crânement que les prisons ne « sont pas une honte », c’est souligner à quel point il s’en faut de peu… Il ne s’agit pas d’un mensonge, cependant. Le régime punitif et répressif de la droite néo-conservatrice est en effet assez fier de ses taules. La suite : « la France gère bien ses prisons ». Au même titre que les nazis géraient super bien leurs camps ? Dans les deux cas, il y a effectivement la même efficacité à détruire…

En somme, Dati fait encore une fois la preuve de sa tragique incompétence. Incompétence qui lui vaut de plus en plus de railleries. Le Canard Enchaîné n’hésite pas à rapporter que Sarko a une conscience précise des « limites » (qu’il est doux à nos oreilles, ce mot !) de sa mère-fouettarde de Garde des Sots. La presse entière en vient à pointer sa possible tricherie quant à ses diplômes. Un journaliste de droite, Claude Askolovitch (du Nouvel Observateur) a écrit un bouquin avec Rachida qui va bientôt sortir, c’est en fait un plaidoyer d’autodéfense : un autre livre, sobrement intitulé « La tricheuse », va éreinter l’hystérique pseudo-magistrate dans les grandes largeurs. Personne n'en connaît encore l’auteur, mais il est acquis que l’affaire du faux diplôme va faire beaucoup de bruit, et c'est tant mieux.

Nouvelle lubie de la folle furieuse : la prison à vie pour les délinquants sexuels multirécidivistes. Idée de Sarkozy. Idée anticonstitutionnelle. A quand la réhabilitation de la peine de mort (mais seulement pour "les tueurs d'enfants", comme disent les abrutis) ? A quand l'euthanasie pénale ? A quand Dati en prison ?

Ceci n'est pas un manifeste

Observateurs sans pitié, déconstructeurs sans complexes, commentateurs sans tabous, nous, Sabotage, ne sommes ni précisément des journalistes (n’étant ni payés ni intéressés par l’actualité en tant que telle), ni précisément des blogueurs (car nous aspirons à créer un rapport nouveau entre le virtuel de cette page et notre terrain d’action « dans la vraie vie »), ni précisément des propagateurs de rumeurs (même si nous aimons frapper là où ça fait mal), ni des idéologues, ni des experts, ni un parti, ni un syndicat, ni un échantillon représentatif de quoi que ce soit. Ainsi :

Constatant la médiocrité généralisée des médias dominants, complices souvent conscients des différents pouvoirs en place, dans le but partagé d’abrutir le plus grand nombre en encadrant, simplifiant et balisant l’information dans le sens du maintien du monde tel qu’il est

Nous apercevant que l’esprit que nous aimons, rieur, caustique, pédagogue, sadique, intempestif, virulent et lucide, ne trouve plus aucun écho dans la parole publique

Nous attristant du sérieux plombant et de la lourdeur dogmatique et moraliste de la majorité des opposants au système et autres résistants au régime, qui n’ont souvent de révolutionnaires que la volonté d’être considérés comme tels

Prenant acte de notre jeunesse, de notre talent, de notre intelligence, de notre humour, de notre sens aigu de l’injustice et de la malhonnêteté de nos contemporains et de nos aïeux

Nous avons décidé d’user de l’information, de l’insolence et de nos neurones comme armes de subversion massive dans le but sublime de contribuer à l’élévation de l’espèce humaine et, à plus court terme, au réveil du débat public.

Amis des médias indépendants et/ou satiriques, nous affichons impudiquement notre amour pour Le Canard Enchaîné, Le Plan B, Groland et le Hara-Kiri de nos papys. Moins professionnels sans doute, nous userons et abuserons quand même des spécificités inexplorées de la forme blog pour atteindre notre but suprême, notre Grand-Soir à nous.

Et, vous l’aviez deviné, nous ne nous priverons pas à l’occasion de taper sur nos ennemis jurés que sont les pouvoirs médiatiques, politiques, policiers, économiques, financiers, moraux (dont religieux), dont il s’agira pour nous de déconstruire les énoncés, les structures, les concepts, les réflexes et les motivations, afin de les mettre à nu, dans leur risible et nihiliste absurdité, pour le plus grand plaisir des petits et des grands.

Et puisqu’il s’agit d’annoncer la couleur, nous souhaiterions évoquer à présent le rôle symptomatique qu’a joué récemment l’ensemble du paysage médiatique français dans le traitement d’une information triviale et people dont l’insignifiance en dit long sur le degré d’interconnexion entre dirigeants politiques et journalistes. Le fait divers en question, c’est le divorce des Sarkozy, autrement dit la news incontournable de la semaine, sur laquelle les médias ont décidé, jeudi dernier, de focaliser l’attention des français, pour une durée à ce jour indéterminée. Bien.

Toutes les rédactions de France, Navarre et au-delà était au courant de l’imminence du divorce depuis deux semaines au bas mot. Pourtant, nul n’en pipe mot pendant plusieurs jours. Les journalistes en parlent entre eux, se perdent en conjectures et projections des conséquences de cet événement, que l’on devine d’une importance décisive. Mais ils ne croient pas bon d’en informer le populo, comme ils sont (souvent grassement) payés pour le faire. On a donc droit à des atermoiements peu enthousiastes sur la défaite au rugby, dont l’impact est inestimable, en attendant.

En attendant quoi, tiens ? En attendant que le divorce soit prononcé, affirment les plus optimistes, en attendant un communiqué officiel de l’Elysée, confessent les plus sincères. Car en effet, le divorce a beau être prononcé lundi 15 octobre, il faudra encore attendre quelques jours pour que s’ouvre le festival des couvertures de la presse papier et des unes des jités télévisuels. Bien sûr, quelques téméraires (ou privilégiés, tel L’Est Républicain qui semble entretenir avec Cecilia Ciganer Albeniz des relations privilégiées) s’osent, du bout des lèvres, à quelques ébauches de commencements d’annonces, qui consistent principalement à dire « toutes les rédactions sont au courant », histoire de se dédouaner, et en usant de centaines de milliers de conditionnels et de guillemets. Entre-temps, ce sont quelques blogs qui font, à leur échelle, le nécessaire travail d’information, avec pour certains un plaisir non dissimulé.

Vient donc le jour ô combien stratégique de la grève du jeudi 18, occasion rêvée de grignoter sur le temps d’exposition médiatique d’un premier mouvement social de grande ampleur sous la présidence de qui l’on sait. La nouvelle tombe donc pile poil pour les jités et pas mal d’hebdos, comme quoi le hasard fait bien les choses quand on lui donne un petit coup de pouce.

INFORMATION : A la suite d'un propos tenu ici concernant une journaliste de télévision (pourtant formulé au conditionnel et avec toutes les précautions rhétoriques qui sient à ce type de textes), notre blog a été l'objet de menaces de poursuites judiciaires par l'avocate de celle-ci. D'où l'autocensure. Il n'en est pas moins plaisant de constater que la presse étrangère s'est procuré entre-temps des éléments abondant dans le sens de la piste de réflexion que nous évoquions non sans prudence bien auparavant ! Les quelques rédactions hexagonales qui ont tenté de se faire écho de la rumeur en question ont reçu visiblement les mêmes menaces que nous et ont pratiqué la même autocensure.

Il va de soi que nous déclinons toute responsabilité pour les éventuelles associations d'idées que nos sympathiques lecteurs pourraient fortuitement être à même d'éprouver à la lecture de ces quelques lignes et liens !

La papesse des cathos réacs a un blog !

C'est un adversaire par trop évident pour la joyeuse équipe de morbides saboteurs que nous sommes. Mais nos cibles sont diversifiées, et, similaires à Ségolène Royal, "nous ne nous interdisons rien". Et surtout pas de nous intéresser à une personne très spéciale, dont on pourrait dire, pour schématiser, qu'elle est une catholique aux "valeurs" ultraconservatrices, doublée d'une nationaliste proche du FN, triplée d'une engagée associative dans une "ligue de vertu" (pour la censure de la pornographie, scènes obscènes et autres messages "blasphématoires"). Jeanne Smits (ici, une trucculente vidéo dont elle est l'héroïne).

Jeanne Smits, un prénom "terroir français" et un patronyme néerlandais (et oui, les Pays-Bas, le pays de la tolérance radicale, de la permissivité la plus poussée, bref, l'une des civilisations les plus raffinées d'Occident). Mais cet article ne sera pas une vulgaire dénonciation, totalement stérile, des combats de Jeanne Smits. Il s'agit plutôt, pour nous, de rentrer dans la "profondeur" du discours de cette joyeuse drille pour en déterminer les impensés, les stéréotypes structurants, et déconstruire la rhétorique de ce néo-catholicisme communautariste pré-raciste.

Parcourir le blog de Jeanne Smits, sorte de longue litanie délirante et robotique où les dénonciations contre l'avortement dans tel pays succèdent aux acclamations de la lutte anti-avortement qui progresse dans tel autre pays, fournit un renseignement précieux. A l'évidence, les deux concepts majeurs sur lesquels se fonde toute l'idéologie de Smits sont ceux de "culture de vie" et de "culture de mort". Articulés à l'infini, ad nauseam, c'est tel evêque qui se voit félicité pour avoir défendu la "culture de vie", tel procès étant intenté parce que "l'art contemporain est un vecteur important de la culture de mort" (ici).

Le sous-titre du "blog de Jeanne Smits" ? "Nouvelles internationales de la culture de vie et de la culture de mort". C'est exactement le même principe que les news de Têtu, sauf que là ce n'est pas la persécution des gays ou les mariages de lesbiennes qui sont repertoriés, mais les "blasphèmes" et autres scandaleuses légalisations de l'avortement ou de la contraception (ou du mariage gay, justement).

L'important, donc, c'est la "vie". Il y a aussi en exergue cette citation de Joseph Ratzinger, l'ex-Hitlerjugend : "On ne peut penser qu'une société puisse combattre efficacement le crime quand elle le légalise elle-même dans le cadre de la vie naissante". On le comprend, le combat de cette néo-inquisitrice, c'est avant tout l'avortement, c'est-à-dire la "culture de mort".


Jeanne Smits est également vice-présidente de l'AGRIF, association réputée proche du FN, dont l'intitulé exact est : "Alliance Générale Contre le Racisme et Pour le Respect de l'Identité Française et Chrétienne" (que le dernier ferme la porte). Et le "respect" de l'identité française et chrétienne, ils veulent le faire régner au bazooka judiciaire. Chrétiens peut-être, mais chrétiens à peu près aussi ouverts et pacifiques qu'une meute de dogues allemands.

Rien ne serait plus inutile que de geindre que les combats de cette bonne femme sont autant de combats racistes, rétrogrades, réactionnaires, puants, etc. Ce type de dénonciation diamètrale de l'extrême-droite par d'insolents libertaires ne servira qu'à relégitimer les positions politiques de chacun. Ainsi, face à des petits monstres dans notre genre qui encensent la "culture de mort" qu'est la contraception, l'avortement, la vie libre et libérée, la profusion jouissive des sexualités et des expérimentations ; Jeanne Smits et sa clique ne pourront que dire : "vous voyez, vous encensez la culture de mort !". Ce faisant, nous ne serions que plus méprisants pour leur manichéisme de pissotière de collège, "vie", "mort", et leur radicalisme nauséabond. Ainsi, chaque dénonciation renforcera Jeanne Smits dans la detestation de ses dénonciateurs, et les dénonciateurs dans la détestation de Jeanne Smits. Au lieu de faire naître, entre nous, un chemin d'amour... Quel dommage !

Contentons-nous de remarquer que la prétendue "culture de vie", anti-avortement, anti-contraception, anti-pornographie, anti-sexe (outre le très catholique coït vaginal reproducteur) n'a finalement pas grand chose à voir avec la vie, et pourrait tout à fait accepter le titre de "culture de mort" (puisque la contraception, le sexe, la pornographie et l'avortement sont autant de dispositifs culturels joyeux servant avant tout à restreindre le mal-être des êtres humains que nous sommes).

La protection de la vie des tous petits, chez ces gens-là, ne les empêche pas d'être, par contre, de francs partisans de la peine de mort (rappellons que l'AGRIF est un satellite du FN dirigé par Bernard Antony, eurodéputé FN). Le blog de l'inénarrable Jeanne Smits comprend des liens vers des sites d'extrême droite. Vous avez-dit "culture de vie" ? Persécution des enfants sans papier, contrôles génétiques, politiques racistes : "protéger la vie", oui, mais quand elle est blanche, catholique et gauloise. Chez ces gents damoiseaux, la "culture de vie" s'accomode fort bien de tests ADN, de rafles ou d'un hyperlibéralisme sauvage à la sauce Jean-Marie Le Pen.

En revanche, horreur ! L'art contemporain, c'est la "culture de mort" ! L'épanouissement de nos corps, culture de mort ! La fin des névroses hétéropatriarcales, culture de mort ! Et surtout, ne pas "respecter" la très morbide religion catholique, culture de mort ! Satanisme ! Bouh ! Le trip de Smits, c'est de traîner la "culture de mort" devant les tribunaux : quelle belle illustration de cette "culture de vie" tant vantée... C'est vrai qu'elle a l'air de vivre une vie de folie, d'ivresse, la brûlante épicurienne, la vitaliste acharnée !

Il y a presque un ressort comique dans l'épouvante qu'éprouvent les catholiques radicaux face à la contingence de l'être. Une vie, ça ne tient qu'à un fil. Rien qu'en France, on est 700 000 à mourrir chaque année. Les fausses couches, tout le monde connaît quelqu'un à qui s'est arrivé. Bref : la vie, c'est capricieux ; et Kundera a raison de chanter "l'insoutenable légereté de l'être"... Mais ça, les cathos rachots peuvent pas le comprendre. Ce sont eux qui réfutent la très naturelle instabilité de la vie, eux qui échaffaudent une forme d'artificialisme pro-life, alors qu'ils se prétendent apôtres, par ailleurs, des pratiques "naturelles" (lire à ce sujet les diatribes anti-homosexuelles de Jeanne Smits).

C'est donc une vision ultra-restrictive de la vie qui est en jeu dans le concept de culturedevie que notre amie ressasse deux cent fois par jour. La vie ne consiste pour elle que dans la reproduction, et encore, pas dans la reproduction in vitro (voir ses diatribes contre les "bébés éprouvettes"), et dans une reproduction strictement encadrée par le mariage catholique fidèle et vertueux (pas de rapports sexuels non-reproducteurs). Pas beaucoup des bambins d'aujourd'hui trouveraient grâce aux yeux de Sainte-Jeanne Smits...

ADN : Mariani droite ni gauche ; français !

Au cours du festival du rire provoqué par la loi Hortefeux sur la sélection des immigrés à la peau noire et aux familles nombreuses, avec vérification génétique en option grâce au pétillant Thierry Mariani, se sont offerts au regard et à l’écoute du jeune saboteur de nombreux argumentaires qui, conjoints ou séparément, valent de l’or (tefeux ! mouahahaha). Aussi passerons-nous sur l’aspect complètement trisomique, inutile, haineux et délirant de la loi en question et de ses amendements, pour nous concentrer sur les différentes composantes du discours de défense de cette nouvelle loi, ainsi que des failles évidentes des discours médiatiques censés la combattre.

Ce qui frappe dans un premier temps, c’est que le cynisme de la loi Hortefeux n’est absolument pas assumé par ses défenseurs, qui pourtant se prévalent d’une démarche décomplexée. Au vu du texte, on pouvait s’attendre à des arguments-massue du style : « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde », « les nègres on les aime bien quand ils restent chez eux », « les immigrés viennent piller notre système social : refusons-les en bloc », ou encore « ils font baisser mécaniquement le prix de la main d’œuvre et mettent les autochtones dans la merde ». A cela aurait pu s’ajouter un plaidoyer pour une immigration par quotas, comme celui auquel un certain Sarkozy Nicolas, aujourd’hui bien silencieux à ce sujet, n’hésitait pas à recourir du temps de Balladur – de l’immigration comme marché du dimanche ; je prendrai quatre cent informaticiens sri lankais, huit cent actrices porno estoniennes, vingt-cinq mille plombiers polonais et huit infirmières bulgares, s’il vous plaît ! Tout cela aurait amené une joyeuse ambiance d’ultranationalisme fier et épanoui, nouveau visage jeune et insouciant de la France d’après. Mais non ; il n’y a guère que des illuminés du type Eric Zemmour, du Figaro, pour défendre ce genre de positions (voir à ce sujet son intervention sur France 5, un chef d’œuvre du genre).

Certes, il y a toujours Sarkozy qui avec son don subtil pour la provocation s’est fendu de l’argumentaire du cynique réactionnaire que l’on lui connaît depuis longtemps, en proclamant qu’il ne trouvait « pas choquant » l’amendement Mariani. Souvenez-vous de l’insistance avec laquelle notre « briseur de tabous » national justifiait ses positions les plus hardcore : « alors il paraît que c’est tabou de dire que les jeunes de banlieue sont de la racaille, hé ben moi j’le dis, c’est de la racaille, je dis tout haut ce que tout le monde pense tout bas, quitte à choquer le politiquement correct ». Nul n’est désormais surpris par la grandiose rhétorique de notre actuel monarque, qui construit ses opinions par opposition à un discours imaginaire, immédiatement associé au « politiquement correct », donc, au « discours dominant », aux « tabous » et autres « rigidités » persistantes de la pensée française. Mais l’intervention du célibataire de l’Elysée est trop anecdotique pour qu’on lui prête, pour l’heure, trop d’attention.

Non, les grands idéologues de la nouvelle pensée-système, ce sont les Hortefeux, les Mariani, les Morano, les Devedjian. Une droite qui, sans être dans le fond complexée (si l’on en juge par son œuvre) reprend pourtant un argumentaire jusqu’alors réservé à une gauche aujourd’hui en déshérence. Ainsi, lorsque la clownesse Morano est sommée de qualifier la loi Hortefeux en un mot, elle n’a pas la moindre honte à parler d’« humanisme ». Idem pour Hortefeux et Mariani, qui se défendent de mettre des bâtons dans les roues aux immigrants, dont ils tentent à tout prix de faciliter les démarches. Raisonnement alambiqué pour défendre une loi censée, précisément, diminuer et encadrer l’immigration.

L’amendement par la grâce duquel Mariani instaure les tests ADN pour que ces gentils bamboulas prouvent leur éventuelle filiation (car ils se ressemblent tous, et puis on les devine volontiers queutards et polygames), ce n’est absolument pas une mesure de défiance, c’est juste pour que « ceux qui ne trichent pas » puissent avoir l’insigne privilège d’une procédure accélérée, exempte de toute sorte de vérification administrative. A contrario, les connards xénophobes qui s’opposent à un tel amendement veulent laisser croupir dans la misère des familles entières, victimes des lenteurs de la procédure. Bigre ! Puisque l’on cherche à aller dans le tout-permissif, dans l’humanisme le plus lyrique, que n’est-il pas venu à l’idée de nos politiciens virtuoses de supprimer tout simplement toute forme de vérification ? D’accélérer et d’alléger les procédures d’entrée sur le territoire pour tout le monde ? Après tout, ça ne fera pas une grande différence, quantitativement, et puis ça ferait faire des économies à l’administration…

Bon, devant ce genre de raisonnements, la gent périsarkozyste a enfin tendance à s’exprimer plus explicitement : l’important dans la recette, c’est de séparer « ceux qui trichent » de « ceux qui ne trichent pas », et l’ADN, nous indique Mariani, est une manière, comme autrefois la signature et demain la reconnaissance optique, de « prouver son identité ». Halte là, maraud ! S’il s’agit de « prouver » son identité, c’est que l’on ne peut pas se fier à la parole de l’immigrant, ni à l’état civil de son pays de dégénérés, donc qu’il y a défiance a priori. Et voilà comment tombe en morceaux un argumentaire qui, péroré avec une tenace conviction, a tout de même réussi à mystifier ses opposants… Dans leurs derniers soubresauts, les fous du Roy ont parfois le burlesque de s’écrier : « mais si l’on n’a rien à se reprocher, ça ne pose aucun problème ». Hahaha.

Pourquoi, donc, se prévaloir d’un humanisme que l’on juge rétrograde pour autrui ? La seule explication, évidente par ailleurs, qui vienne à l’esprit vif et acéré du saboteur, c’est la volonté de priver une gauche molle et d’un consensuel autoproclamé, d’espace idéologique. Car il faut bien se dire que la tribu en question ne cherche nullement à « rassurer » ses concitoyens, qu’elle se fiche éperdument d’un quelconque humanisme, qu’elle exhibe avec le sourire sa volonté de se rapprocher du Front National (pardon, de ramener une à une les brebis frontistes égarées).

Autre clé de voûte de l’idéologie Hortefuégienne, « le réel ». On croyait l’usage cette arme de destruction intellectuelle exclusivement réservé aux sociaux-démocrates de type Strauss-Kahn, qui font de l’« adaptation à la réalité » leur maître mot – considérant qu’ils ne peuvent rien changer à ladite « réalité », voire qu’ils n’en prennent pas part, tout simplement. Mais non, « le réel » a également sa place chez les braillards de l’UMP. Lorsque les droitistes complexés du PS ou les centristes néoconservateurs façon Charlie Hebdo et consorts s’en prennent à l’amendement Mariani au nom de « principes républicains », le binoclard du Vaucluse s’indigne : il y a certes les principes, mais il y a surtout « le réel », et c’est à ce dernier qu’ont affaire les politiques. Même ligne de défense pour Braïsse Hortefeux, qui met dans le même panier le fait que le taux de chômage chez les jeunes étrangers diplômés soit de 26%, la ségrégation à l’embauche n’existant pas dans notre bien « réel » pays de bisounours. A opposer au « réel », il y a également la compassion, le droit-de-l’hommisme, la confiance (rebaptisée « angélisme » pour l’occasion), la philosophie ( ?), l’idéalisme, etc…

Sans vouloir donner trop de crédit à l’attaque « par principe », il est quand même étonnant que ces politiques professionnels, grassement rémunérés pour remuer leurs méninges dans l’intérêt de tous et de chacun, ne parviennent pas à s’accommoder de quelques principes peu contraignants, histoire de s’acheter une conscience morale à peu de frais… Il faut donc comprendre que « le réel », c’est une situation gravissime de dernière instance, que des hordes, des bataillons, des peuples entiers d’étrangers se pressent aux frontières de l’Hexagone, qu’ils investissent les canalisations d’égouts pour une invasion souterraine, qu’ils préparent des catapultes géantes pour choir par centaines sur notre doux terroir ! Mais non, pas du tout ; l’amendement Mariani concernerait difficilement plus de mille personnes par an, la loi Hortefeux est inapplicable (ou alors il faudra qu’on m’explique comment mettre en place partout dans le monde des structures accessibles de formation à la langue et aux « valeurs républicaines » françaises), aucune prétendue « réalité » ne vient spontanément corroborer leurs thèses fumeuses… Si tant est que « le réel » soit jamais univoque, palpable et doué de volonté, comme le voudraient bien ces sympathiques mystiques.

Pourquoi recourir donc au « réel », alors que les ficelles, grosses comme la bite à Rocco, sont pathétiquement visibles ? Tout d’abord, cela ne peut s’expliquer indépendamment du rôle que jouent, souvent consciemment, les médias dominants. Un parallèle saisissant peut-être fait avec la présidentielle de 2002 et le thème de l’« insécurité », leitmotiv s’il en fut de cette période. Au lendemain du célèbre premier tour, des caméras d’une chaîne claire avaient eu la bonne idée, en guise d’autocritique, d’aller dans un trou paumé d’Alsace, qui avait plébiscité Le Pen, interviewer la population. Une vieille chouette, téméraire, eut la franchise d’admettre qu’elle avait voté Le Pen « contre l’insécurité et l’immigration ». A cette profession de foi, l’intervieweur objectait qu’il n’y avait ni insécurité ni immigration dans le bled en question. Oui, mais, précise la vieille, on voit bien à la télé ce que c’est. On pouvait lire sur son visage un sourire veule de type « et c’est bien fait pour ces petits cons », mais cela dépasse l’objet de notre étude.

Ainsi, on le voit, pour peu que la population s’y prête un peu (et elle s’y prête plutôt deux fois qu’une), on peut lui faire croire à la « réalité » d’une attaque de martiens, à la « réalité » de violeurs enragés et atteints du SIDA qui sodomisent tout ce qui bouge pour propager le virus, et ainsi de suite, pour que les gens restent tranquilles chez eux, votent pour la répression, et continuent de regarder la télé ; la boucle est bouclée. Car il faut bien se dire que « le réel », pour la plupart des gens, au-delà de leur condition individuelle, c’est la télé, donc à peu près ce qu’on veut bien leur faire croire. « Le réel », il faut s’en convaincre (et en convaincre autrui), c’est rien, c’est n’importe quoi, ça n’existe pas.

Dernier argument, plus prosaïque, de la troupe des pré-eugénistes : la défense du travail du Parlement. Utilisé principalement pour s’en prendre à la musulmane de service du gouvernement (Amara), mais plus largement pour contrer l’attaque groupée de plusieurs membres de l’exécutif (Kouchner, Jouyet, Hirsch, mais aussi Darcos, Pécresse ou cette bonne vieille Boutin), le procédé prête quand même à sourire. Voire à se taper le cul par terre. D’une part, voir les pom-pom girls d’une réforme ultra-présidentialiste des institutions s’insurger contre l’ingérence du gouvernement, c’est quand même du divertissement de haut niveau, mais surtout, si l’on suit leur raisonnement, si l’Assemblée propose la chambre à gaz, il faudra se plier aux volontés des « représentants du peuple ». Et nous emmerdons ceux qui nous parlent de point Godwin. La suite.

Oui, donc, pourquoi tout cet arsenal argumentaire d’humanisme, de réalisme, d’amour irréfrénable de nos institutions, de la part d’un groupuscule qui hier encore reléguait ces valeurs à la préhistoire de la politique, avec sa tonitruante rupture ? Le calcul est simple : en défendant une telle position, l’on a forcément beau jeu de jeter l’adversaire dans le camp des rétrogrades qui ne respectent pas les institutions, qui ne sont pas en phase avec le réel et qui ont des tabous. On aurait tort de rigoler trop vite, car ce qui pour les idéologues de la majorité relève du calcul prend sa pleine mesure lorsque l’on voit les civils adhérer corps et âme à ces oppositions simplettes dignes d’un écolier et, pire, l’opposition autoproclamée valider à 100% la logique binaire que lui impose la majorité.

Evidemment, nous passons sur tout ce que le Parti Socialiste et ses satellites immédiats recèlent de nationalistes pur jus qui, s’ils ne pipent pas mot dans le débat, ne se réjouissent pas moins de voir la droite accomplir leurs preux desseins (citons pour l’exemple le difforme Chevènement, ou encore le sarkozyste Manuel Valls). Ces glorieux individus n’existent, pour ainsi dire, pas. Non, prenons un instant l’exemple de Philippe Val, grand gourou du Charlie Hebdo réformiste d’aujourd’hui. En toute bonne foi, il est contre l’amendement Mariani, c’est même en ce moment son activité principale. D’ailleurs, il a fait de son journal le fer de lance médiatique du mouvement « anti-ADN » (sic), avec le concours de SOS Racisme puis, une fois la bataille lancée, Libé. C’est tout à son honneur. Alors que ce pauvre Val éditorialisait Charlie à grands coups de considérations sur la nécessité d’avoir une gauche différente de la droite, il a trouvé grâce à Mariani un cheval de bataille lyrique, qui nous a réservé quelques phrases bien senties. Il avait traité la chose de « saloperie fascisante », pour notre plus grand bonheur.

S’improvisant leader politique et affinant sa présence médiatique, le voilà donc qui trimballe son menton saillant de plateau télé en plateau télé, pour pourfendre l’amendement scélérat. Et là, surprise, alors que ses éditos et les papiers furieux de ses collègues de rédaction nous faisaient espérer des sorties libertaires et enfiévrées où l’on chanterait l’amour de l’autre, Val préfère s’en tenir à un argumentaire d’autorité : notre sacro-sainte République a des principes, on n’a pas le droit d’y contrevenir. Mazette ! En voilà un argumentaire qu’il est bon ! Au-delà du fait qu’on peut, au nom des principes, défendre tout en n’importe quoi, la seule évocation de l’argument d’autorité est – et on le comprend – synonyme d’une immobilité et d’un passéisme qui sont en général le propre de la droite la plus conservatrice. Pourtant, c’est à cette ligne que se plient très majoritairement les révolutionnaires de « touche pas à mon ADN ».

Mais ce n’est pas tout ; en désespoir de cause, Val use d’un autre argument : on a besoin, pour faire marcher notre économie de marché, d’une immigration dont le potentiel démographique relève le niveau de nos autochtones. En d’autres termes, l’immigration est un choix économique, si les français de souche pondaient suffisamment de marmots on pourrait s’en passer. Ce n’est qu’en ultime recours que le courageux Philippe considère que la loi Hortefeux – Mariani voit derrière chaque immigré un délinquant. Evidemment, on voit bien où Philippe Val, grand réformiste et amoureux de la République s’il en est, veut en venir : il s’agit de faire accepter aux populations droitières l’immigration avec l’argumentaire qui leur est propre, autrement dit, battre le gouvernement sur son propre terrain idéologique.

Le problème étant que sur son propre terrain, le parti de l’ordre n’a plus à faire ses preuves. Son travail de minage a été accompli à merveille ; sa complicité est telle avec son électorat que leurs convergences idéologiques n’ont même pas à être explicitées. Plus clairement ; lorsque le gouvernement défend les mesures Hortefeux – Mariani sous couvert de modernité et d’humanisme, il est clair qu’il ne renie aucunement ses points de convergence avec son électorat ultraconservateur, bien au contraire il fournit à celui-ci des armes idéologiques pour relayer son message, tout en plaçant leur corps de doctrine dans le domaine du tacite.

Donc, en se prêtant à la danse dont le gouvernement donne la cadence, l’opposition « médiatique » (outre Val, qui est hélas l’un des plus virulents, on peut aussi trouver un grand nombre de personnalités socialistes ou communistes) perd à la fois sur son propre terrain et sur celui du gouvernement qu’elle a la naïveté de vouloir vampiriser. Misère du raisonnement de la concession permanente. L’ironie veut d’ailleurs que la droite disons « « « bienveillante » » » (celle des Chirac, des Villepin et des Bayrou) ait une réaction d’opposition au discours du gouvernement – ce bon gros facho de Pasqua lui-même a rejoint le camp des antimarianistes – tout en gardant sa cohérence idéologique. Donc, au nom des mêmes principes, les gaullistes et les paraît-il « socialistes » combattent le même ennemi. Parmi les deux entités, il y en a une qui sort grandie. Elle ne siège pas rue de Solférino.

Le chenil Sarkozy a donc bien joué : son opposition s’en tient à des minauderies mollassonnes de conservatisme modéré, ses contradicteurs se contentent de beugler que les principes fondamentaux de la République (avec lesquels tout un chacun se torche le cul) ne sont pas respectés sans se soucier d’expliquer les raisons de l’existence de tels principes ; le gouvernement aura désormais beau jeu de concéder à la droite bisounours le retrait de l’amendement criminel, et pourront passer comme des lettres à la poste les restrictions du droit d’asile, les séquelles du discours de Dakar, les reconduites à la frontière, les défenestrations de clandestins et, d’une manière plus générale, le reste de la loi Hortefeux, puisque les deux discours médiatiques dominants écartent autant le discours clairement gauchiste et celui de l’évidence libertaire.

Car où sont-ils les gauchos médiatiques ? A-t-on entendu Cohn-Bendit ? Besancenot a-t-il couru les plateaux ? Niet. A peine a-t-on entendu, timidement, Taubira (qui est pourtant loin d’être une radicale) s’étonner que l’on n’inquiète pas davantage les étrangers milliardaires qui prennent leurs aises et tuent le marché immobilier en France alors qu’ils ne maîtrisent pas la langue. Plus virulente fut encore Aurélie Filippetti qui, quoique socialiste et en terrain conquis (au grand raout du Zénith) n’en a pas moins déclaré sans ambages : « cette France moisie, cette France rancie qui considère l’étranger comme l’ennemi, on n’en veut pas ». Alléluia ! Malgré l’impact assez relatif de son intervention, qui ne fait pas encore trembler Hortefeux et consorts, ça n’en demeure pas moins une voix nouvelle, qui ne vient pas lécher l’électeur frontiste dans le sens du poil pubien. Préférer les étrangers aux fachos : c’est un début, une mini-révolution dans la parole publique estampillée « gauche ».

Car, s’il ne faut évidemment pas voir la politique derrière le seul prisme des médias dominants, c’est à eux malgré tout que se réfère l’homme de la rue, celui-là même qui choisit son bourreau – pardon, son représentant, lors des différentes élections.

Mais, au-delà de ces bien tristes considérations qui agitent la gent conformiste, confortable, con tout court ; où est passée la liberté ? Où sont passés les rêves ? Qui se trouvera pour crier à pleine gorge que les frontières on s’en fout, qu’il n’y a pas d’étrangers, que nous n’avons que faire de la mesquinerie collabo de la majorité silencieuse, qu’il y a finalement des occupations plus joyeuses que de suspecter le voisin ? Qui ? Qui ? Qui ? A toutes ces questions et à celles qui en découlent, une réponse s’impose, évidente, rieuse, caustique : Sabotage, Sabotage, Sabotage !


Notre lettre de Guy Môquet

Le saviez-vous ? Par une curieuse erreur technique, la Propagandastaffel de l'Etat-Sarkozy a effacé (c'est malencontreux), dans la présentation de sa lettre, le fait que Guy Môquet était communiste. Cet acte de révisionnisme et de sabotage symbolique n'est évidemment pas volontaire ; même s'il permet une meilleure lecture, à coup sûr, de ce qui est devenu l'évangile sarkozyste, lalettredeGuyMôquet. Dépolitisé, l'héritage de Môquet n'en devient que plus lisible, universel, patriotique.

Nouvelle petite erreur : dans "l'intitulé de l'hommage officiel" à Guy Môquet, le mot "camarade" a été remplacé par le mot "compagnon". Une faute de frappe.

On aurait bien tort de croire que ces erreurs sont volontaires ! Personne, visiblement, ne pousse des cris d'orfraie ni ne s'inquiète d'une quelconque Propagande d'Etat ou d'une dérive goebelsienne du SarkoReich. C'est donc que ces petites modifications sémantiques n'ont rien de comparable à un opus de Leni Riefenstahl.

Pourtant, à lire un autre texte de Guy Môquet, on subodore que le Reich aura quelques difficultés techniques supplémentaires pour édulcorer le fait que le jeune adolescent est un héros communiste, qu'il aurait boycotté la lecture de sa propre lettre par un régime à peu près aussi éloigné de son idéal qu'une ouverture de Wagner l'est d'un geignement de Björk.

Parmi ceux qui sont en prison
Se trouvent nos 3 camarades
Berselli, Planquette et Simon
Qui vont passer des jours maussades

Vous êtes tous trois enfermés
Mais patience, prenez courage
Vous serez bientôt libérés
Par tous vos frères d’esclavage

Les traîtres de notre pays
Ces agents du capitalisme
Nous les chasserons hors d’ici
Pour instaurer le socialisme

Main dans la main Révolution
Pour que vainque le communisme
Pour vous sortir de la prison
Pour tuer le capitalisme

Ils se sont sacrifiés pour nous
Par leur action libératrice
.

Le Reichskanzler Sarkozy instaurera-t-il la lecture obligatoire de cet émouvant témoignage devant la jeunesse de France ?

Bernard Laporte, sous-ministre mafieux ?

Apparemment, on a pas fini d'en apprendre sur le futur sous-ministre aux sports, ami de Sarkozy, loser rugbystique, homme d'affaire(s), propriétaire de bastringues et homme-sandwich Bernard Laporte.

Outre son goût immodéré pour les jûteux contrats publicitaires (jambon, rasoirs, croquettes pour chiens) ; pour les pseudo-conférences business de coaching de cadres (on imagine la scène : "Soyez toujours offensifs ! N'ayez pas peur du combat ! Soyez vous-même !") facturées à plusieurs milliers d'euro la prestation ; pour les rachats de business connotés "blanchiement d'argent sale" (casinos, bar à putes, vignobles) ; Bernard Laporte a également le goût de l'autoplagiat. C'est Rue89 qui détaillait la croustillante affaire : des pages et des pages de similitudes entre "Au boût de mes rêves" (éditions Robert Laffont) et "Le rugby m'a fait homme" (éditions Michel Lafon). C'est dire si cet homme a le goût du travail bien fait.

Contesté par ses joueurs pour ses choix tactiques lors de la coupe du monde de rugby, il le fût également pour la sarkozyfication assez ahurissante de sa communication, poussant le vice jusqu'à sarkozyfier également sa stratégie sportive, inventant une sorte de lyssenkisme rubgystique des plus détonnants. Lecture de la lettre à Guy Môquet, comparaisons douteuses ("Ce soir on a été grands comme le Président Sarkozy"), présence lourdingue du petit chef de l'Etat dans les vestiaires où il a pu dispenser ses précieux conseils ("Une défaite c'est pas grave, moi aussi j'ai connu des défaites"). Michalak et quelques autres l'avouent : "On n'adhérait plus au discours de Laporte". Bref, il était temps pour Laporte de dégager du rugby.

Seulement voilà. La nomination-gag de Laporte au Secrétariat d'Etat au sport remonte à loin... Avant la défaite en coupe du monde... Avant l'auto-plagiat... Et surtout avant la révélation des pratiques pour le moins douteuses de Bernie dans ses business, pratiques dont il est pour l'instant présumé innocent. En voilà un autre pour qui la dépénalisation du droit des affaires promise par Sarkozy est une aubaine en or massif.

Selon l'Equipe, Bernard Laporte aurait fait l’objet d’une enquête fiscale qui l’épinglerait pour double comptabilité, abus de biens sociaux, détournement d'actifs, transferts de fonds suspect, fausses factures, travail au noir ou encore retraits en espèces. On sent que les présomptions ne sont pas tout à fait légères. Y a de la matière, quoi.

"Vous croyez que moi, je vais aller dans une société faire des malversations ?" s'étrangle Bernie. Ben, euh, si tu pose la question, oui, on y croit quand même un peu, même si on sait que le rugby t'a fait homme. "Je vous parie tout ce que vous voulez que ça ne débouchera sur rien à l'arrivée. Si ce n'est ce redressement concernant la TVA." Avec Sarko aux commandes, ta prophétie est effectivement courageuse... Il t'arrivera pas grand chose, va. Même cette histoire de TVA, après tout, c'est si peu !

Mouillé par un rapport du fisc pour un banal "Je prends l'oseille directement dans la caisse de la chaîne de restaus dont je suis actionnaire", Bernie n'a pas à s'inquiéter outre-mesure. Confidence du Figaro (19.10.07) : "Le rapport du fisc a été remis en mars 2007, au terme de près d'un an d'enquête et d'une quinzaine de perquisitions mais il serait bloqué au ministère du budget. Dès décembre prochain, précise le site internet de l’Equipe, les infractions fiscales seront prescrites, affirme le site d'informations sportives." (Oh la belle phrase pleine de prudence et de pléonasmes grotesques).

Deux autres affaires concernent le futur sous-ministre, selon le même article du Figaro : "D’une part, "une résidence de tourisme qu'il a créée avec deux associés a été mise en liquidation judiciaire en avril dernier". Moins d’un an après le début de son exploitation, explique le site de l’Equipe qui ajoute : "l'affaire, aujourd'hui sur le bureau d'un juge de tribunal de commerce, pourrait avoir des suites pénales car une soixantaine de personnes lésées par cette liquidation ont annoncé leur intention de déposer plainte". D’autre part, une plainte aurait été déposée par un couple de casinotiers indépendants contre Bernard Laporte. Ce couple l’accuse d'avoir "fait jouer ses relations amicales avec Nicolas Sarkozy pour tenter d'obtenir la moitié des parts leur établissement" (sic)."

On imagine Laporte aller promouvoir les vertus virilisantes du rugby devant la jeunesse de France ("Si ça vous intéresse, lisez mon livre, aux éditions Michel Lafon"), et encourager les "sauvageons" des cités à apprendre la noblesse, le fair-play et l'esprit sportif... Faites ce que je dis, pas ce que je fais (impunément).

Devinette

Que peut-on trouver dans le dernier numéro de CQFD, "le journal pas assez méchant" ?

1. Un éreintage en règle du pseudo-écolo Yann Arthus-Bertrand, à côté duquel TOTAL pourrait passer pour un groupe estampillé "Haute Qualité Environnementale" ?

2. Une très fournie rubrique "Gros nuls de l'environnement", dans laquelle CQFD propose à Sarkozy de poursuivre sur sa lancée en créant un "Vél-d'Hiv de l'immigration", un "Charonne de la sécurité intérieure", un "Ouvéa de l'Histoire coloniale", un "Lagardère de la presse libre", voire un "Crève-salope de la politique" ?

3. La chronique de Jean-Marc Rouillan, ancien d'Action Directe, "correspondant permanent au pénitencier" ; devant qui une procureure sadique exulte au moment de lui signifier que le parquet fait appel de sa demande de semi-liberté ?

4. Cette citation enchanteresse de Robert Walser (1878-1956) : "Tu me dis que le travail te manque, que tu éprouves un besoin urgent de trouver une activité professionnelle convenable. Ne rapplique pas toujours avec l'amour du travail. [...] Plus que jamais ce pays a besoin aujourd'hui [...] de gens qui ont suffisamment de force intérieure pour renoncer au travail." ?

5. Dans le courrier des lecteurs, cet aphorisme à pleurer de rage et d'espoir : "Serons-nous morts quand nos enfants iront aimer, libres et nus, dans les forêts croissant sur l'oubli des fabriques rasées ?" ?


Réponse : 1 ; 2 ; 3 ; 4 ; 5.

Proto-information ? Même pas, affaire classée.

Sur un quai de Seine, le regard de Sabotage tombe sur un autocollant de la CNT : « TRAVAILLONS TOU(TE)S MOINS et autrement » Quelques mètres plus loin demandant à un vendeur de journaux s’il recelait le dernier CQFD, celui-ci répond : « Ce Qu’il Faut Détruire, c’est ça ? Alors, qu’est-ce qu’il faut détruire ?

-Vous savez, il y a plusieurs cibles, commence Sabotage avant d’énumérer mais d'être aussitôt interrompu.

-Moi je vais vous dire, ce qu’il faut détruire d’abord c’est le travail. Si on détruit le travail alors… » et nous le voyions faire miroiter cette idée avec un sourire aux lèvres.

Samedi 13 octobre, sur un circuit allant de Montparnasse aux Invalides, une chose était bien manifeste : travailler peut nuire gravement à la santé, pour reprendre le titre d’un ouvrage récent (Annie Thébaud-Mony, 2007). Parmi les 20 000 manifestants, réunis à l'appel de la FNATH, de l'ANDEVA et de plusieurs syndicats, de nombreux accidentés du travail et victimes de maladies pulmonaires incurables qu'on verrait mal gueuler des slogans et qui défilent néanmoins modestement pour obtenir une reconnaissance.

Si Sabotage s’empare de cette thématique, c’est pour diffuser une cause qui souffre d’une micro reconnaissance médiatique, pour dénoncer des médias qui ne convoient pas des « nouvelles » vieilles d’il y a un siècle mais se reproduisant avec régularité et donc toujours brûlantes d’actualité, et qui, même lorsqu'ils sont contraints de déposer quelques misérables lignes dans leur feuille de chou sur le sujet (comme quand 20 000 personnes débarquent par convois organisés dans la capitale ; voir l’article dans le Monde du 13.10.07 qui adopte décidemment le format dépêche) ne profitent pas de l’occasion pour plonger à l’intérieur du rapport de forces particulier au sein duquel se négocient l’accident du travail et la maladie professionnelle. Car tous ces actes sont négociés. Voilà qui relèverait de la nouvelle : dévoiler au concret comment se négocie la reconnaissance ou non de la responsabilité de l’employeur et l’imputation d’un handicap ou d’une maladie au travail, et montrer que dans certaines de ces négociations, toutes les parties ne disposent pas des mêmes ressources - c’est le moins que l’on puisse dire (le cas extrême étant dans le cas d’une mort sans héritiers ou tout est bien vite négocié).

Mais aussi, peut-être serait-ce trop demander que de révéler que le risque d’accident du travail est sciemment anticipé par les employeurs (comment ne pourrait-il l’être lorsque la régularité des taux annuels de victimes dans chaque branche est si frappante), relève de l’externalité négative (pas supportée par l’employeur donc tant que sa responsabilité n’entre pas en jeu) et de toute manière se trouve compensé par un moindre coût des machines et des équipements de sécurité. Et de ce fait, la santé des employés est mise sur le même plan que la « santé » des entreprises, comme le rappelle Annie Thébaud-Mony. Et même au sein des maladies professionnelles, comment expliquer que l’amiante soit la star des médias alors que bien nombreux sont ceux qui n’ont jamais entendu parler de la silicose, une affection pulmonaire incurable, qui chaque année aurait tué pratiquement le même nombre que l’amiante (voir à ce sujet l’article de Population & Sociétés, revue de l’INED consultable ici) ?

Mais tout ceci a trait à la conception très fine qu’ont les médias de l’information. L’information est assimilée à l’événement et donc sans événement quelque peu percutant, nada. Ainsi, la mort en coulisses liée au travail, puisque non exceptionnelle, de même que les conditions concrètes dans lesquelles se négocie la reconnaissance d’une maladie professionnelle, ne sont pas une information, puisque ce qui n’est pas retenu par les journalistes n’obtient pas le statut d’information et donc n’en sera pas une pour les lecteurs. Ainsi, parmi les « nouveaux censeurs » n’y aurait-il pas au premier plan les journalistes eux-mêmes, qui auraient tellement intériorisé la conception dominante de ce qu’est l’information qu’ils contribuent eux-mêmes à renforcer cette conception, ce faisant validant leur travail de journaliste, et pensant l’information comme allant de soi, oubliant la découpe qu’ils viennent à peine d’opérer ?



Il y a un parallélisme percutant pour le coup entre la fabrique de l’information et le processus de reconnaissance des maladies professionnelles. En effet, dans les deux cas, une ligne symbolique départage ce qui est reconnu de ce qui ne l’est pas et cette ligne a valeur de tout ou rien, d’un côté ce qui sera diffusé à des millions de lecteurs ou téléspectateurs et de l’autre ce qui a été classé volontairement, par oubli, par dédain ou par la pression de la ceinture budgétaire patronale dans le néant informatif ; d’un côté, la ligne RA 47 du tableau des maladies professionnelles ("Affections consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante") et de l’autre RG 30 ("Affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante"). Dans les deux cas, un acte décisif de différenciation est opéré et de façon quotidienne, et Sabotage soutient qu’éclaircir cet acte relève éminemment de la nouvelle.

Les peines plancher : un plan chez le Pen

La sinistre Rachida Dati a une bonne pote : l'ancienne Garde des sceaux, Elisabeth Guigou. La "socialiste" trouve la sarkozette "courageuse, tenace" (Libération, 16.10.07). "Mais je trouve qu'elle ne s'y prend pas bien. J'ai de l'estime, et même de l'admiration pour son parcours, donc en tant que personne c'est quelqu'un qui m'intéresse."

Ce que Guigou reproche à Dati, c'est donc de ne pas savoir s'y prendre. C'est pas son action qui la gêne, c'est la méthode. Trop brutal ? Trop rapide ? Pas assez de discussions préalables avec les "partenaires sociaux" ? La critique socialiste, on le voit, est d'un radicalisme à faire pâlir les hirsutes soixante-huitards les plus permissifs.

Qu'a donc pu faire la belle Dati pour susciter une telle bordée d'insultes ? En cherchant bien, on trouve effectivement quelques motifs d'effarement, mais ce ne sont visiblement pas ceux-là qu'a retenu Elisabeth Guigou. Qu'à cela ne tienne !

Rachida Dati est l'auteure (ou, du moins, la défenderesse) d'une loi "visant à renforcer la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs". Pas besoin d’être un grand juriste pour en discerner les grandes lignes : obligation pour les juges de prononcer des peines d’au moins un tiers de la peine maximale encourue pour les récidivistes, quasi-impossibilité de compresser une peine de prison en autre chose que… de la prison, égalité face à la loi des 16-18 ans et des adultes, fin de l’individualisation des peines (l’article 4 supprime le 132-24 du code pénal qui en était la garantie), systématisation de l’injonction de soins, car dans son incomparable humanisme, le gouvernement considère que la délinquance est une maladie dont on guérit ! Alléluia !

Pour garantir la constitutionnalité de ce manifeste, il est toujours précisé qu’à titre « exceptionnel » et sur décision spécialement motivée (en cas de nouvelle récidive le condamné doit présenter des garanties « exceptionnelles » de réinsertion), un juge pourra toujours contrevenir à la présente loi, un peu comme le Coran précisait « si ta femme te trompe, bute-la, mais si tu ne le fais pas Allah te pardonnera car il est grand et miséricordieux ». On connaît la suite. Bref ; au milieu de tout ça se promène un article curieux qui stipule que « lorsque les circonstances de l'infraction ou la personnalité de l'auteur le justifient », le condamné sera prévenu des conséquences d’une éventuelle nouvelle récidive. Au-delà de ce que la formulation farfelue amène comme sous-entendus et exégèses, l’idée serait plutôt positive, si elle n’avait pas été supprimée en cours de route, dans un silence assourdissant. De même, les médias avaient relayé bruyamment la suppression de l’individualisation des peines, mais n’ont pas trop évoqué le fait que le principe avait été rejeté par le Conseil Constitutionnel…

On le voit, au total, la loi n’est pas si restrictive en soi, puisqu’elle permet aux magistrats de ne pas l’appliquer, la notion d’« exception » étant à peu près aussi claire que le regard de Sarkozy. Donc, pourquoi cette loi, qui dans l’absolu ne devrait pas amener de grands bouleversements dans l’application du droit ? Pourquoi envoyer la poupine Rachida au casse-pipes pour si peu ? Tout simplement, parce qu’il s’agit d’une énième opération de com’, d’un effet d’annonce qui s’inscrit dans un contexte bien précis : l’avènement, à l’échelle de toute notre société, d’une mentalité répressive complètement premier degré, d’une ambiance « la fête est finie » digne des premiers jours de juin 68, d’un climat de « tolérance zéro » érigé en clé de voûte de l’idéologie officielle. Ces réjouissances s’accompagnent, en outre, d’un climat de suspicion délirant envers la fonction publique en général et de la Justice en particulier ; tacitement, les juges n’auront d’autre choix que d’appliquer les peines planchers s’ils ne veulent pas devenir les boucs émissaires d’une opinion chauffée à blanc par le gouvernement et les médias. D’ailleurs, Dati n’a pas hésité une seconde à convoquer le vice-procureur de Nancy pour ne pas avoir appliqué de peine-plancher. On le voit, l’indépendance de la Justice fait, avec la droite décomplexée, un grand bond en avant.

On peut se dire qu’un peu d’homogénéité dans les verdicts ne ferait pas de mal, dans un pays où la sanction encourue dépend uniquement du juge face auquel on se retrouve. De son humeur, de sa fatigue, de ses idées politiques, de son adhésion au sécuritarisme Dati, de ses convictions en matière de justice… Un cocktail qui fait qu’aucun délit n’obtient la même sanction. Tout se fait « à la gueule ». Parodie de justice, donc, où on demande au prévenu « d’adhérer à sa sanction » et de la « comprendre », alors que celle-ci ne procède d’aucune logique, et d’autant moins que les mêmes délits, à travers les lieux et les époques, sont passibles de sanctions variant du tout au tout.

Alors les peines Dati, et leurs verdicts mastocs, ronds, presque esthétiques, pourquoi pas ? Pourquoi, même, ne pas appliquer un simple barème ? Voilà qui réduirait drastiquement le temps nécessaire à une procédure de justice (et le coût) ; que de perspectives en termes de désengorgement et d’assainissement budgétaire !

A ces axiomes de bon sens populiste (colonne vertébrale de la philosophie sarkozyste), Dati associe donc, comme si cela coulait de source, une surenchère « exceptionnelle » dans le répressif et, plus précisément dans le carcéral. Car ce qu’il y a d’inquiétant dans tout cela, c’est que la loi voulue par Rachida Dati repose principalement sur l’idée qu’il faut que les récidivistes (ou autres « multirécidivistes », mot qui est à lui tout seul un pléonasme, hystérie sécuritaire oblige) aillent en prison. Un récidiviste qui ne va pas en prison, « ce n’est plus acceptable » (sauf si c'est un patron ou un membre du monde des affaires, milieu exemplaire dont Sarko-Dati préparent très discrètement la dépénalisation : ô Justice !).

On apprend ainsi que les peines Dati, c’est deux ans ferme pour un toxico en voie de réinsertion qui a commis l’horrible crime de s’acheter un peu de shit. Comment briser les efforts d’ex-taulards et de juges qui font tout pour reconstruire des parcours saccagés. La prison, lieu de tous les trafics, est effectivement l’endroit rêvé pour sortir de ce genre d’histoires, à supposer que la toxicomanie doive être punie (ce qui n’est pas l’opinion de Sabotage).

Étonnante philosophie que celle de Rachida Dati, beurette gracile qui chausse les bottes de la mère-fouettarde vengeresse et ne voit que la prison comme solution. La ministresse, désireuse d’aborder sa tâche répressive « sans tabous » (c’est le running gag du moment chez Sarkozy et ses idéologues), propose en effet des solutions totalement neuves, corrosives et briseuses de tabous : la taule. Une innovation décoiffante… Quelques centaines d’années que l’on enferme et que l’on incarcère, les preuves sont là, l’efficacité est au rendez-vous. On peut songer avec délice aux rares tarés sociaux qui pérorent encore sur l’aspect « dissuasif » de l’incarcération. Tellement dissuasif que les gouvernements de droite s’empressent, chaque année, de fabriquer de nouvelles lois « antirécidive », preuve que la prison n’est rien d’autre qu’une institution criminogène.

On le comprend, ce qui choque la France qui se lève tôt, c’est l’idée que les taulards ne « fassent jamais » la durée totale de la peine à laquelle ils ont été condamnés. « A quoi ça sert, alors ? », se demandent-ils. Et Rachida Dati est très soucieuse d’épouser cette interrogation de bon sens (populaire) : « Quel est le sens de la sanction », si celle-ci n’est jamais appliquée que partiellement ? Même argumentaire subtil, évidemment, lors de la suppression du droit de grâce présidentiel : « gracier, ça dénature la sanction ». Car il est tenu pour acquis que, au contraire, enfermer à tout va, pour des durées irrationnelles dignes d’une Justice de dictature du Sud-Est asiatique, c’est au contraire profondément restaurer le « sens de la sanction ». La même Dati proposait, en Une du Parisien (5.10.07), de mettre tout simplement fin aux remises de peine. Qui, en raccourcissant les sanctions pénales, « dénaturent le sens de la sanction » ?

Un jeune de vingt ans ayant volé une clé USB a pris deux ans de prison ferme, par la grâce de la loi Dati. Le « sens de la sanction », à tous les coups, va lui faire puissamment ouvrir les yeux sur la barbarie de son acte. Pour les cas de « récidives aggravées », les magistrats n’ont pas le droit de « prononcer une peine autre que l'emprisonnement ». La récidive simple conduisant souvent en prison, la récidive aggravée c’est donc le constat de l’inefficacité de la prison. Et pour bien prendre acte de l’inefficacité de l’incarcération criminogène, le législateur oblige au retour à la taule. Puissant. Logique. Malin. Nos enfants sont en sécurité.

Dans un article du très sarkozyste Monde, on apprend que ce genre de cas court les couloirs des tribunaux : « J'ai vu en comparution immédiate un jeune homme de 20 ans qui a acquis 2 grammes de cannabis en récidive pour sa consommation personnelle. La peine plancher est de quatre ans ferme : c'est totalement disproportionné ! », s’exclame un magistrat. Disproportionné par rapport à quoi ? Après tout, les peines ne sont jamais proportionnées à quoi que ce soit ; elles qui sont aussi variables et multiples que les pays et les époques. Alors les peines Dati peuvent parfaitement être déclarées proportionnées au sarkozysme ambiant, ou au rut que procurent les équipées punitives à la Grosse Bertha Rachida.

« Un vol avec effraction peut aussi bien qualifier le casse du siècle dans une grande joaillerie que le fait de fracturer un distributeur de boissons sur un quai de métro pour obtenir un peu de monnaie », ajoute le journaliste vespéral. « Qui vole un œuf vole un bœuf », rétorquera la foule, saisie de son désir répressif et punitif. « "Qui vole un oeuf vole un boeuf" est un bocard qui ne veut pas dire qu'il faut réprimer le voleur d'oeuf comme le voleur de boeuf, mais que le vol est constitué même si la chose a une valeur dérisoire voire aucune valeur », explique un avocat. Non seulement la peine n’est plus individualisée, mais elle ne s’adapte même plus aux circonstances du délit, elle traite de semblable façon des centaines de milliers de crimes et délits qui, par définition, n’ont rien de commun ni de comparable. C'est un peu comme si on administrait le même médicament à la même dose à des malades touchés par des maladies différentes, comme dit Serge Portelly (apprécions néanmoins la métaphore, qui voudrait nous faire croire que la prison est un médicament).

« On met un jeune en prison pour avoir été trouvé avec cent grammes de shit ; mais en prison il pourra se procurer ce qu’il veut, auprès des autres détenus, voire auprès de certains gardiens. En tout cas l’Administration Pénitentiaire ferme le plus souvent les yeux parce que le shit c’est la tranquillité ! », affirme le Groupe Mialet, association non-abolitionniste mais critique de la justice punitive et du système carcéral actuel. « La promiscuité, en particulier celle des jeunes, avec des « professionnels » chevronnés du vol ou de l’escroquerie ou du trafic de drogue, est une véritable éducation permanente à des métiers peu recommandables. » Passons sur la tonalité moraliste de la dénonciation, il n’en demeure pas moins qu’elle fait clairement apparaître le caractère essentiellement criminogène de la prison. La prison ne sert à rien d’autre qu’à alimenter la pompe à délinquance. Son inefficacité, millénaire, universelle, lui assure du même coup sa pérennité.

On pourrait avoir du mal à comprendre pourquoi la droite, tout en prenant acte de l’inefficacité foncière de l’enfermement en termes de criminalité et de délinquance (à tel point qu’elle exige que les peines d’enfermement soient plus longues pour ceux à qui elles « ne font rien »), se jette à corps perdu dans la « solution » punitive et carcérale. C’est que la droite a besoin d’une institution criminogène pour s’assurer un confortable matelas de délinquance, permettant de tenir un discours répressif toujours bankable.

Cela dit, Dati, magistrate, est trop neuneu pour avoir un raisonnement ultracynique du type "bourrons les taules, il en resultera bien de la délinquance". Sa sarkolâtrie, manifeste, se double de bégaiements, de sautes d'humeur et d'une nervosité touchante de jeune ministre amoureuse du Président. On imagine volontiers son maître lui tapoter les fesses dans les couloirs de l'Elysée, bien au fait, lui, des avantages substantiels d'une politique qui sème le vent répressif et la misère.

Les peines plancher, c’est la fin de l’individualisation de la peine, mais c’est surtout la politique de systématisation de l’enfermement carcéral. Les experts ès délinquance prévoient un stock supplémentaire de 10000 prisonniers d'ici quelques années, dû aux peines-plancher. Dans des prisons surpeuplées à 120%, et des maisons d'arrêt à 136%. Rappellons que, dans son programme, Sarkozy promettait ceci : "Il ne sera plus possible, en France, d'obliger un détenu à partager sa cellule" (Lyon Capitale, 03.04.07). Le candidat qui respecte ses engagements ne va donc pas, en l'espèce, respecter ses engagements. Ironie de l'Histoire.

Il pourra toujours construire des prisons, elles se rempliront. C'est la loi de l'appel du vide. Plus il y a de prisons, plus il y a de prisons. C'est une loi tendancielle des sociétés punitives ; dont l'illustration paroxystique est fournie par les Etats-Unis et leurs pénitenciers-villes, bondés, immenses, apocalyptiques ; qui font du pays de George W. Bush le haut-lieu mondial de la délinquance et de la criminalité (et, tout naturellement, la terre nourricière des idées les plus droitières du monde).

On le voit, le but des braves gens qui gouvernent notre fière Patrie n’est pas de trouver des solutions, mais d’asseoir leur pouvoir, avec une rage convulsive qui est sans doute à la mesure des années de frustration passées à le convoiter. Plus proche du Président en l'absence de Cécilia, la chienne de Garde des Sceaux ira sans doute encore plus loin (c’est annoncé) dans cette politique qui nous rapproche chaque jour un peu plus de l’Oncle Sam. Mais le pire, dans cette histoire, c’est que ce pouvoir s’appuie effectivement sur une forme démocratique. La démocratie représentative étant l’alpha et l’oméga de la pensée politique d’aujourd’hui, peu importe que la majorité des représentés soit haineuse, mesquine, collabo, du moment que ses volontés sont respectées.

Contre cette tendance odieuse de nos contemporains et de ceux qui les gouvernent, nous, Sabotage, appelons au combat et à la subversion physique et symbolique contre les instincts répressifs auxquels il s’agit de résister, et qu’il nous faudra déconstruire, pourfendre, anéantir. Que la fête commence !

Sabotage

Ce blog, collectif, a pour objectif de déconstruire les énoncés et les structures des pouvoirs quels qu'ils soient.

"La liberté des autres étend la mienne à l'infini."