Les ultimes résidus, consternants, de la chute du féminisme

Dans le torchon gratuit « Métro » du jour, les deux premières pages sont consacrées à la grossesse de Rachida Dati. La présidente d’un groupuscule situationniste patronal (E.T.H.I.C.), Sophie de Menton, critique l’image donnée par Rachida Dati.

Parenthèse : E.T.H.I.C., cela veut dire « Entreprises de taille humaine, indépendantes et de croissance » (que le dernier ferme la porte). Un acronyme tout à fait étrange. Toute entreprise n’est-elle pas « indépendante et de croissance » ? Ce verbiage stupide ne semble là que pour donner au sigle ses deux dernières initiales, et ainsi devenir dicible (c’est mieux que ETH). Nullité magistrale du marketing. ETHIC organise chaque année la « Fête des entreprises ». On peut voir des affiches dans le métro : une mongolienne à lunette saute de joie, barrée d’un joyeux « J’aime ma boîte ! ».

« Parce que l’entreprise, on a tous une bonne raison d’en être fier ! ». Il se joue dans cette opération sémantique une espèce de phase 2 de la droitisation de la société ; une prise de conscience patronale de l’importance de jouer sur les référents symboliques et de sédimenter la domination jusque dans les inconscients. On a gagné la guerre économique et politique, maintenant il faut gagner celle du désir, semble nous dire ETHIC. Erotiser le capitalisme managérial. C’est tout de même une opération remarquable, une borne est franchie – dans l’indifférence, cela dit. Fin de la parenthèse.

Un deuxième article orne la page deux du torche-cul gratos. L’on y voit la mine réjouie d’Isabelle Alonso, présidente des « Chiennes de garde ». C’est une sorte de petit éditorial (étrange formule, à la vérité ; Alonso fait-elle partie des salariés de Métro ?) qui s’intitule « Mère courage ».
"Partout dans le monde et depuis toujours les femmes ont accouché ET travaillé. Rachida suit les traces de sa mère, elle en a le courage et la ténacité. Cependant, l'organisation de la vie politique et des institutions date d'une époque où il y avait d'un côté des gens qui faisaient de la politique, et de l'autre des gens qui mettaient les enfants au monde.

Aujourd'hui, c'est fini, les femmes sont là. Il s'agit de tout réorganiser en fonction de cette donnée. Faire comme si tout le personnel politique était féminin. Il est parfois prioritaire, pour le salut du pays de demain et le bien-être général, de s'éloigner ou d'être là d'une autre façon (la technologie le permet), de déléguer sans y risquer son avenir. Un véritable esprit d'équipe permet d'assurer les mêmes fonctions en les personnalisant un peu moins.... Un peu d'imagination, de bonne volonté et de courage politique, un esprit plus collectif et le tour est joué, pour une démocratie digne de ce nom... Bienvenue à Zohra."
Ce qui plait à la "féministe" Isabelle Alonso, c'est que "Rachida" (elle n'a visiblement qu'un prénom) enfante. Ça c'est bien. C'est magnifique, même. L'engendrement. La reproduction de l'espèce.

Mais "Rachida" ne fait pas qu'enfanter ! Elle enfante courageusement, en reprenant immédiatement le travail. "Mère courage". Héroïne. A l'égale des hommes. Fières de "Rachida".

Il y a effectivement un grand courage à reprendre le travail lorsqu'on dispose de quinze nounous de luxe pour garder la chiarde. De limousines à gyrophares pour rentrer à la maison autant de fois par jour que nécessaire. Un courage qui émeuvrait beaucoup d'autres femmes courageuses, Louise Michel, Simone de Beauvoir. Le charmant castor verserait une larme de fierté devant le courage de "Rachida".

On atteint, avec Isabelle Alonso et ses copines, le point ultime du déclin du féminisme, devenu une idéologie d'encensement de la procréation et de la droite au pouvoir (et singulièrement de la ministre d'extrême droite Rachida Dati). "Bienvenue à Zohra" !

Il fut un temps où le mouvement des femmes était un espace de gauchisme, de critique sociale et de remise en cause des genres, des rôles sexués, des catégories. Il est devenu l'idéologie la plus à droite du vaste spectre de la pensée occidentale. Isabelle Alonso est un marqueur de cette course à l'ultradroite du "féminisme".

On se souvient aussi de la levée de bouclier ultra-répressive, au moment de la libération de Bertrand Cantat, sur le thème "sa remise en liberté banalise les violences faites aux femmes". Les femmes comme agents de la mise en taule, c'était beau !

Criminalisation du viol, hystérie répressive, sacralisation de la procréation, de la maternité, de la famille, du travail, du régime sarkozyste, pornophobie, putophobie : quelles sont douces et bonnes, les conquètes du féminisme ! Le catholicisme patriarcal a-t-il un allié objectif plus fidèle ?