Proto-information ? Même pas, affaire classée.

Sur un quai de Seine, le regard de Sabotage tombe sur un autocollant de la CNT : « TRAVAILLONS TOU(TE)S MOINS et autrement » Quelques mètres plus loin demandant à un vendeur de journaux s’il recelait le dernier CQFD, celui-ci répond : « Ce Qu’il Faut Détruire, c’est ça ? Alors, qu’est-ce qu’il faut détruire ?

-Vous savez, il y a plusieurs cibles, commence Sabotage avant d’énumérer mais d'être aussitôt interrompu.

-Moi je vais vous dire, ce qu’il faut détruire d’abord c’est le travail. Si on détruit le travail alors… » et nous le voyions faire miroiter cette idée avec un sourire aux lèvres.

Samedi 13 octobre, sur un circuit allant de Montparnasse aux Invalides, une chose était bien manifeste : travailler peut nuire gravement à la santé, pour reprendre le titre d’un ouvrage récent (Annie Thébaud-Mony, 2007). Parmi les 20 000 manifestants, réunis à l'appel de la FNATH, de l'ANDEVA et de plusieurs syndicats, de nombreux accidentés du travail et victimes de maladies pulmonaires incurables qu'on verrait mal gueuler des slogans et qui défilent néanmoins modestement pour obtenir une reconnaissance.

Si Sabotage s’empare de cette thématique, c’est pour diffuser une cause qui souffre d’une micro reconnaissance médiatique, pour dénoncer des médias qui ne convoient pas des « nouvelles » vieilles d’il y a un siècle mais se reproduisant avec régularité et donc toujours brûlantes d’actualité, et qui, même lorsqu'ils sont contraints de déposer quelques misérables lignes dans leur feuille de chou sur le sujet (comme quand 20 000 personnes débarquent par convois organisés dans la capitale ; voir l’article dans le Monde du 13.10.07 qui adopte décidemment le format dépêche) ne profitent pas de l’occasion pour plonger à l’intérieur du rapport de forces particulier au sein duquel se négocient l’accident du travail et la maladie professionnelle. Car tous ces actes sont négociés. Voilà qui relèverait de la nouvelle : dévoiler au concret comment se négocie la reconnaissance ou non de la responsabilité de l’employeur et l’imputation d’un handicap ou d’une maladie au travail, et montrer que dans certaines de ces négociations, toutes les parties ne disposent pas des mêmes ressources - c’est le moins que l’on puisse dire (le cas extrême étant dans le cas d’une mort sans héritiers ou tout est bien vite négocié).

Mais aussi, peut-être serait-ce trop demander que de révéler que le risque d’accident du travail est sciemment anticipé par les employeurs (comment ne pourrait-il l’être lorsque la régularité des taux annuels de victimes dans chaque branche est si frappante), relève de l’externalité négative (pas supportée par l’employeur donc tant que sa responsabilité n’entre pas en jeu) et de toute manière se trouve compensé par un moindre coût des machines et des équipements de sécurité. Et de ce fait, la santé des employés est mise sur le même plan que la « santé » des entreprises, comme le rappelle Annie Thébaud-Mony. Et même au sein des maladies professionnelles, comment expliquer que l’amiante soit la star des médias alors que bien nombreux sont ceux qui n’ont jamais entendu parler de la silicose, une affection pulmonaire incurable, qui chaque année aurait tué pratiquement le même nombre que l’amiante (voir à ce sujet l’article de Population & Sociétés, revue de l’INED consultable ici) ?

Mais tout ceci a trait à la conception très fine qu’ont les médias de l’information. L’information est assimilée à l’événement et donc sans événement quelque peu percutant, nada. Ainsi, la mort en coulisses liée au travail, puisque non exceptionnelle, de même que les conditions concrètes dans lesquelles se négocie la reconnaissance d’une maladie professionnelle, ne sont pas une information, puisque ce qui n’est pas retenu par les journalistes n’obtient pas le statut d’information et donc n’en sera pas une pour les lecteurs. Ainsi, parmi les « nouveaux censeurs » n’y aurait-il pas au premier plan les journalistes eux-mêmes, qui auraient tellement intériorisé la conception dominante de ce qu’est l’information qu’ils contribuent eux-mêmes à renforcer cette conception, ce faisant validant leur travail de journaliste, et pensant l’information comme allant de soi, oubliant la découpe qu’ils viennent à peine d’opérer ?



Il y a un parallélisme percutant pour le coup entre la fabrique de l’information et le processus de reconnaissance des maladies professionnelles. En effet, dans les deux cas, une ligne symbolique départage ce qui est reconnu de ce qui ne l’est pas et cette ligne a valeur de tout ou rien, d’un côté ce qui sera diffusé à des millions de lecteurs ou téléspectateurs et de l’autre ce qui a été classé volontairement, par oubli, par dédain ou par la pression de la ceinture budgétaire patronale dans le néant informatif ; d’un côté, la ligne RA 47 du tableau des maladies professionnelles ("Affections consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante") et de l’autre RG 30 ("Affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante"). Dans les deux cas, un acte décisif de différenciation est opéré et de façon quotidienne, et Sabotage soutient qu’éclaircir cet acte relève éminemment de la nouvelle.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Travailler deux heures par jour : moins qu'une utopie, plus qu'une réforme (Adret)