Les peines plancher : un plan chez le Pen

La sinistre Rachida Dati a une bonne pote : l'ancienne Garde des sceaux, Elisabeth Guigou. La "socialiste" trouve la sarkozette "courageuse, tenace" (Libération, 16.10.07). "Mais je trouve qu'elle ne s'y prend pas bien. J'ai de l'estime, et même de l'admiration pour son parcours, donc en tant que personne c'est quelqu'un qui m'intéresse."

Ce que Guigou reproche à Dati, c'est donc de ne pas savoir s'y prendre. C'est pas son action qui la gêne, c'est la méthode. Trop brutal ? Trop rapide ? Pas assez de discussions préalables avec les "partenaires sociaux" ? La critique socialiste, on le voit, est d'un radicalisme à faire pâlir les hirsutes soixante-huitards les plus permissifs.

Qu'a donc pu faire la belle Dati pour susciter une telle bordée d'insultes ? En cherchant bien, on trouve effectivement quelques motifs d'effarement, mais ce ne sont visiblement pas ceux-là qu'a retenu Elisabeth Guigou. Qu'à cela ne tienne !

Rachida Dati est l'auteure (ou, du moins, la défenderesse) d'une loi "visant à renforcer la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs". Pas besoin d’être un grand juriste pour en discerner les grandes lignes : obligation pour les juges de prononcer des peines d’au moins un tiers de la peine maximale encourue pour les récidivistes, quasi-impossibilité de compresser une peine de prison en autre chose que… de la prison, égalité face à la loi des 16-18 ans et des adultes, fin de l’individualisation des peines (l’article 4 supprime le 132-24 du code pénal qui en était la garantie), systématisation de l’injonction de soins, car dans son incomparable humanisme, le gouvernement considère que la délinquance est une maladie dont on guérit ! Alléluia !

Pour garantir la constitutionnalité de ce manifeste, il est toujours précisé qu’à titre « exceptionnel » et sur décision spécialement motivée (en cas de nouvelle récidive le condamné doit présenter des garanties « exceptionnelles » de réinsertion), un juge pourra toujours contrevenir à la présente loi, un peu comme le Coran précisait « si ta femme te trompe, bute-la, mais si tu ne le fais pas Allah te pardonnera car il est grand et miséricordieux ». On connaît la suite. Bref ; au milieu de tout ça se promène un article curieux qui stipule que « lorsque les circonstances de l'infraction ou la personnalité de l'auteur le justifient », le condamné sera prévenu des conséquences d’une éventuelle nouvelle récidive. Au-delà de ce que la formulation farfelue amène comme sous-entendus et exégèses, l’idée serait plutôt positive, si elle n’avait pas été supprimée en cours de route, dans un silence assourdissant. De même, les médias avaient relayé bruyamment la suppression de l’individualisation des peines, mais n’ont pas trop évoqué le fait que le principe avait été rejeté par le Conseil Constitutionnel…

On le voit, au total, la loi n’est pas si restrictive en soi, puisqu’elle permet aux magistrats de ne pas l’appliquer, la notion d’« exception » étant à peu près aussi claire que le regard de Sarkozy. Donc, pourquoi cette loi, qui dans l’absolu ne devrait pas amener de grands bouleversements dans l’application du droit ? Pourquoi envoyer la poupine Rachida au casse-pipes pour si peu ? Tout simplement, parce qu’il s’agit d’une énième opération de com’, d’un effet d’annonce qui s’inscrit dans un contexte bien précis : l’avènement, à l’échelle de toute notre société, d’une mentalité répressive complètement premier degré, d’une ambiance « la fête est finie » digne des premiers jours de juin 68, d’un climat de « tolérance zéro » érigé en clé de voûte de l’idéologie officielle. Ces réjouissances s’accompagnent, en outre, d’un climat de suspicion délirant envers la fonction publique en général et de la Justice en particulier ; tacitement, les juges n’auront d’autre choix que d’appliquer les peines planchers s’ils ne veulent pas devenir les boucs émissaires d’une opinion chauffée à blanc par le gouvernement et les médias. D’ailleurs, Dati n’a pas hésité une seconde à convoquer le vice-procureur de Nancy pour ne pas avoir appliqué de peine-plancher. On le voit, l’indépendance de la Justice fait, avec la droite décomplexée, un grand bond en avant.

On peut se dire qu’un peu d’homogénéité dans les verdicts ne ferait pas de mal, dans un pays où la sanction encourue dépend uniquement du juge face auquel on se retrouve. De son humeur, de sa fatigue, de ses idées politiques, de son adhésion au sécuritarisme Dati, de ses convictions en matière de justice… Un cocktail qui fait qu’aucun délit n’obtient la même sanction. Tout se fait « à la gueule ». Parodie de justice, donc, où on demande au prévenu « d’adhérer à sa sanction » et de la « comprendre », alors que celle-ci ne procède d’aucune logique, et d’autant moins que les mêmes délits, à travers les lieux et les époques, sont passibles de sanctions variant du tout au tout.

Alors les peines Dati, et leurs verdicts mastocs, ronds, presque esthétiques, pourquoi pas ? Pourquoi, même, ne pas appliquer un simple barème ? Voilà qui réduirait drastiquement le temps nécessaire à une procédure de justice (et le coût) ; que de perspectives en termes de désengorgement et d’assainissement budgétaire !

A ces axiomes de bon sens populiste (colonne vertébrale de la philosophie sarkozyste), Dati associe donc, comme si cela coulait de source, une surenchère « exceptionnelle » dans le répressif et, plus précisément dans le carcéral. Car ce qu’il y a d’inquiétant dans tout cela, c’est que la loi voulue par Rachida Dati repose principalement sur l’idée qu’il faut que les récidivistes (ou autres « multirécidivistes », mot qui est à lui tout seul un pléonasme, hystérie sécuritaire oblige) aillent en prison. Un récidiviste qui ne va pas en prison, « ce n’est plus acceptable » (sauf si c'est un patron ou un membre du monde des affaires, milieu exemplaire dont Sarko-Dati préparent très discrètement la dépénalisation : ô Justice !).

On apprend ainsi que les peines Dati, c’est deux ans ferme pour un toxico en voie de réinsertion qui a commis l’horrible crime de s’acheter un peu de shit. Comment briser les efforts d’ex-taulards et de juges qui font tout pour reconstruire des parcours saccagés. La prison, lieu de tous les trafics, est effectivement l’endroit rêvé pour sortir de ce genre d’histoires, à supposer que la toxicomanie doive être punie (ce qui n’est pas l’opinion de Sabotage).

Étonnante philosophie que celle de Rachida Dati, beurette gracile qui chausse les bottes de la mère-fouettarde vengeresse et ne voit que la prison comme solution. La ministresse, désireuse d’aborder sa tâche répressive « sans tabous » (c’est le running gag du moment chez Sarkozy et ses idéologues), propose en effet des solutions totalement neuves, corrosives et briseuses de tabous : la taule. Une innovation décoiffante… Quelques centaines d’années que l’on enferme et que l’on incarcère, les preuves sont là, l’efficacité est au rendez-vous. On peut songer avec délice aux rares tarés sociaux qui pérorent encore sur l’aspect « dissuasif » de l’incarcération. Tellement dissuasif que les gouvernements de droite s’empressent, chaque année, de fabriquer de nouvelles lois « antirécidive », preuve que la prison n’est rien d’autre qu’une institution criminogène.

On le comprend, ce qui choque la France qui se lève tôt, c’est l’idée que les taulards ne « fassent jamais » la durée totale de la peine à laquelle ils ont été condamnés. « A quoi ça sert, alors ? », se demandent-ils. Et Rachida Dati est très soucieuse d’épouser cette interrogation de bon sens (populaire) : « Quel est le sens de la sanction », si celle-ci n’est jamais appliquée que partiellement ? Même argumentaire subtil, évidemment, lors de la suppression du droit de grâce présidentiel : « gracier, ça dénature la sanction ». Car il est tenu pour acquis que, au contraire, enfermer à tout va, pour des durées irrationnelles dignes d’une Justice de dictature du Sud-Est asiatique, c’est au contraire profondément restaurer le « sens de la sanction ». La même Dati proposait, en Une du Parisien (5.10.07), de mettre tout simplement fin aux remises de peine. Qui, en raccourcissant les sanctions pénales, « dénaturent le sens de la sanction » ?

Un jeune de vingt ans ayant volé une clé USB a pris deux ans de prison ferme, par la grâce de la loi Dati. Le « sens de la sanction », à tous les coups, va lui faire puissamment ouvrir les yeux sur la barbarie de son acte. Pour les cas de « récidives aggravées », les magistrats n’ont pas le droit de « prononcer une peine autre que l'emprisonnement ». La récidive simple conduisant souvent en prison, la récidive aggravée c’est donc le constat de l’inefficacité de la prison. Et pour bien prendre acte de l’inefficacité de l’incarcération criminogène, le législateur oblige au retour à la taule. Puissant. Logique. Malin. Nos enfants sont en sécurité.

Dans un article du très sarkozyste Monde, on apprend que ce genre de cas court les couloirs des tribunaux : « J'ai vu en comparution immédiate un jeune homme de 20 ans qui a acquis 2 grammes de cannabis en récidive pour sa consommation personnelle. La peine plancher est de quatre ans ferme : c'est totalement disproportionné ! », s’exclame un magistrat. Disproportionné par rapport à quoi ? Après tout, les peines ne sont jamais proportionnées à quoi que ce soit ; elles qui sont aussi variables et multiples que les pays et les époques. Alors les peines Dati peuvent parfaitement être déclarées proportionnées au sarkozysme ambiant, ou au rut que procurent les équipées punitives à la Grosse Bertha Rachida.

« Un vol avec effraction peut aussi bien qualifier le casse du siècle dans une grande joaillerie que le fait de fracturer un distributeur de boissons sur un quai de métro pour obtenir un peu de monnaie », ajoute le journaliste vespéral. « Qui vole un œuf vole un bœuf », rétorquera la foule, saisie de son désir répressif et punitif. « "Qui vole un oeuf vole un boeuf" est un bocard qui ne veut pas dire qu'il faut réprimer le voleur d'oeuf comme le voleur de boeuf, mais que le vol est constitué même si la chose a une valeur dérisoire voire aucune valeur », explique un avocat. Non seulement la peine n’est plus individualisée, mais elle ne s’adapte même plus aux circonstances du délit, elle traite de semblable façon des centaines de milliers de crimes et délits qui, par définition, n’ont rien de commun ni de comparable. C'est un peu comme si on administrait le même médicament à la même dose à des malades touchés par des maladies différentes, comme dit Serge Portelly (apprécions néanmoins la métaphore, qui voudrait nous faire croire que la prison est un médicament).

« On met un jeune en prison pour avoir été trouvé avec cent grammes de shit ; mais en prison il pourra se procurer ce qu’il veut, auprès des autres détenus, voire auprès de certains gardiens. En tout cas l’Administration Pénitentiaire ferme le plus souvent les yeux parce que le shit c’est la tranquillité ! », affirme le Groupe Mialet, association non-abolitionniste mais critique de la justice punitive et du système carcéral actuel. « La promiscuité, en particulier celle des jeunes, avec des « professionnels » chevronnés du vol ou de l’escroquerie ou du trafic de drogue, est une véritable éducation permanente à des métiers peu recommandables. » Passons sur la tonalité moraliste de la dénonciation, il n’en demeure pas moins qu’elle fait clairement apparaître le caractère essentiellement criminogène de la prison. La prison ne sert à rien d’autre qu’à alimenter la pompe à délinquance. Son inefficacité, millénaire, universelle, lui assure du même coup sa pérennité.

On pourrait avoir du mal à comprendre pourquoi la droite, tout en prenant acte de l’inefficacité foncière de l’enfermement en termes de criminalité et de délinquance (à tel point qu’elle exige que les peines d’enfermement soient plus longues pour ceux à qui elles « ne font rien »), se jette à corps perdu dans la « solution » punitive et carcérale. C’est que la droite a besoin d’une institution criminogène pour s’assurer un confortable matelas de délinquance, permettant de tenir un discours répressif toujours bankable.

Cela dit, Dati, magistrate, est trop neuneu pour avoir un raisonnement ultracynique du type "bourrons les taules, il en resultera bien de la délinquance". Sa sarkolâtrie, manifeste, se double de bégaiements, de sautes d'humeur et d'une nervosité touchante de jeune ministre amoureuse du Président. On imagine volontiers son maître lui tapoter les fesses dans les couloirs de l'Elysée, bien au fait, lui, des avantages substantiels d'une politique qui sème le vent répressif et la misère.

Les peines plancher, c’est la fin de l’individualisation de la peine, mais c’est surtout la politique de systématisation de l’enfermement carcéral. Les experts ès délinquance prévoient un stock supplémentaire de 10000 prisonniers d'ici quelques années, dû aux peines-plancher. Dans des prisons surpeuplées à 120%, et des maisons d'arrêt à 136%. Rappellons que, dans son programme, Sarkozy promettait ceci : "Il ne sera plus possible, en France, d'obliger un détenu à partager sa cellule" (Lyon Capitale, 03.04.07). Le candidat qui respecte ses engagements ne va donc pas, en l'espèce, respecter ses engagements. Ironie de l'Histoire.

Il pourra toujours construire des prisons, elles se rempliront. C'est la loi de l'appel du vide. Plus il y a de prisons, plus il y a de prisons. C'est une loi tendancielle des sociétés punitives ; dont l'illustration paroxystique est fournie par les Etats-Unis et leurs pénitenciers-villes, bondés, immenses, apocalyptiques ; qui font du pays de George W. Bush le haut-lieu mondial de la délinquance et de la criminalité (et, tout naturellement, la terre nourricière des idées les plus droitières du monde).

On le voit, le but des braves gens qui gouvernent notre fière Patrie n’est pas de trouver des solutions, mais d’asseoir leur pouvoir, avec une rage convulsive qui est sans doute à la mesure des années de frustration passées à le convoiter. Plus proche du Président en l'absence de Cécilia, la chienne de Garde des Sceaux ira sans doute encore plus loin (c’est annoncé) dans cette politique qui nous rapproche chaque jour un peu plus de l’Oncle Sam. Mais le pire, dans cette histoire, c’est que ce pouvoir s’appuie effectivement sur une forme démocratique. La démocratie représentative étant l’alpha et l’oméga de la pensée politique d’aujourd’hui, peu importe que la majorité des représentés soit haineuse, mesquine, collabo, du moment que ses volontés sont respectées.

Contre cette tendance odieuse de nos contemporains et de ceux qui les gouvernent, nous, Sabotage, appelons au combat et à la subversion physique et symbolique contre les instincts répressifs auxquels il s’agit de résister, et qu’il nous faudra déconstruire, pourfendre, anéantir. Que la fête commence !

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Le système judiciaire est de plus en plus soumis à la pression d’une démagogie pénale et politique qui pourrait menacer sérieusement l’idée même du "droit"…

Elle érige la cause des victimes (qui ne le seront pas moins) en justification absolue de la volonté de punir. La réhabilitation qui devrait constituer la finalité de la punition a de moins en moins de place dans les objectifs assignés à la peine.

La sécurité juridique du tarif est associée à des vertus dissuasives (illusoires?) et à la "reconnaissance" d’un état fort , ce qui signifierait qu'une population "instruite" délègue, par les urnes, le pouvoir de faire exécuter des lois tarifées , pour le bien de tous, les mesures répressives étant subtilement lié au système.
Modèle américain:Andrew Von Hirsch (1976) soutient un système de "sentences fixes " les conservateurs américains les plus utilitaristes, y trouvent leur intérêt : décourager la délinquance (pensent-ils!) en lui faisant savoir que la réponse pénale sera systématique et non négociable… enracinant la justification de la punition dans le passé de l'acte et non dans l'avenir promis, au-delà de la peine elle-même, au délinquant, à la victime ou à la société…(dissuader les uns, sécuriser les autres!)

Une étude sur l'origine des actes délinquants, ainsi qu'une véritable éducation des prévenus paraîtrait plus constructive, si l'on voulait prendre le temps de comprendre, d’écouter, de suivre, d’éduquer et non se contenter de "mettre à l'écart". Cela demanderait de s'en donner les moyens… et de paraître laxiste? (insupportable!)

Enfin, est ce que punir est un acte qui s'impose nécessairement? on peut s'interroger si le punir est une action réactive nécessaire ou même si elle est légitime, et donc en accord avec l'idée même de droit ?

Hannibal Volkoff a dit…

Putain bel article bel article bel article

Anonyme a dit…

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